Après la guerre
Dopo la guerra
de Annarita Zambrano
Sélection officielle
Un Certain Regard






Les éternelles années de plomb

Bologne, 2002. Le refus de la loi Travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France. Marco, ex-militant d’extrême gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis vingt ans grâce à la Doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l’attentat. Le gouvernement italien demande son extradition. Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de seize ans, il voit sa vie basculer à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie qui se retrouve à payer pour ses fautes passées… Premier long métrage d’Annarita Zambrano, le film met en exergue un point commun entre la réalisatrice et son personnage principal : comme lui, elle a été partagée entre les cultures italienne et française : mais nulle trace de terrorisme ou même de militantisme dans son passé de jeune femme qui a étudié le cinéma à Rome et à Paris ; tout au plus (et c’est déjà beaucoup) la cinéaste s’est posée la question de la responsabilité individuelle de tout intellectuel rangé ayant eu un passé sulfureux dans la violence politique. Le film est, selon une formule consacrée qui a servi d’alibi à bien des pensums, inspiré de faits réels : en l’occurrence ici le destin de Paolo Persichetti, professeur de sciences politiques à Paris VIII, « rendu » à l’Italie en 2002, et qui purge depuis cette date une peine de prison. Quelques mois plus tôt, le professeur d’université Marco Biagi, juriste spécialisé en droit du travail, défenseur des politiques de flexibilité et conseiller de Silvio Berlusconi, était assassiné par les BR-PCC - BR-Parti Communiste Combattant, un groupe qui se revendiquait d’une continuité avec les anciennes Brigade rouges dont faisait partie Persichetti. Ce meurtre constitue le prologue du film, qui a pris quelques distances avec la véracité des faits. Le premier mérite d’Annarita Zambrano est d’avoir réussi une narration à double niveau, les segments italien et français se télescopant. Dans le premier, l’on suit le quotidien de la famille de Marco, ex-terroriste vivant désormais en France. Face à l’opinion publique et à la justice qui réclame son extradition, désormais légale, sa mère, sa sœur et son beau-frère réagissent chacun à leur manière. La mère qui avait poussé son fils à l’exil s’enferme dans un digne silence, quand son gendre doit renoncer à une promotion de procureur et sa fille (touchante Barbara Bobulova) est en proie à un dilemme : elle condamne elle-même le passé criminel de son frère (n’a-t-il pas assassiné un juge en présence de son jeune enfant ?) tout en subissant le harcèlement de bien-pensants désireux de lui faire payer le comportement de son frère. Dans le segment français, Marco, qui est devenu un honorable père de famille et un intellectuel respecté mais désormais recherché, doit s’enfuir en compagnie de sa fille, Viola (Charlotte Cétaire, aux faux airs de Sissy Spacek), qui a du mal à admettre la situation.

Née d’une mère française (décédée), ignorant tout de la langue italienne, mais ayant eu connaissance du passé de son père, la jeune fille intégrée dans son lycée et son équipe sportive se sent étrangère à ce passé et est partagée entre l’amour pour son père et son désir de poursuivre une vie en France. Le second mérite de la cinéaste est de proposer une vision contrastée de la situation politique de l’époque, sans manichéisme, et montrant que « chacun a ses raisons », comme disait Renoir, et ainsi que le démontrait Ziad Doueiri dans le récent L’Insulte. Car la Doctrine Mitterrand, basée sur une conception politique, souhaitait accorder une nouvelle chance aux anciens terroristes qui faisaient preuve de rédemption et réinsertion. C’est le cas du personnage de Marco, qui considère ses actes passés liés à un contexte de guerre. Face à cette position, la justice italienne a persisté dans la volonté de poursuivre les auteurs de délits pénaux, quitte à faire pression sur un autre pays pour que celui-ci mette fin à la non-rétroactivité d’une décision politique. Loin des lourdeurs du film à thèse, le film d’Annarita Zambrano s’inspire des réussites du cinéma politique italien, de Cadavres exquis de Francesco Rosi à Buongiorno, notte de Marco Bellochio. On appréciera en particulier la capacité de la cinéaste à déjouer les clichés dans les scènes de tension narrative (le supposé vol de passeports sur la plage, ou le harcèlement trop évident de la nièce italienne à la salle de danse). Zambrano se révèle en outre une esthète inspirée, comme en témoigne son choix du Scope. Elle a ainsi précisé : « Pour deux raisons ; d’abord parce que le département des Landes, où l’on a trouvé la maison où se réfugient Marco et Viola, se prête à ce format ; ensuite parce que le film est très différent selon que l’action se passe en France ou en Italie. En France, où les personnages sont prisonniers, je voulais une ouverture forte sur la nature ; en Italie, où ils sont libres, je voulais au contraire une fermeture. Les personnages italiens sont esclaves d’eux-mêmes et d’un ordre bourgeois. Le Scope est intéressant dans les lieux fermés, les intérieurs : il rend bien, paradoxalement, l’impression d’étouffement ». On appréciera aussi le choix de Giuseppe Battiston dans le rôle de Marco : faisant du personnage un quinquagénaire bedonnant et peu charismatique, la réalisatrice évite le stéréotype du beau mec ténébreux et barbu, sexuellement attirant, contrairement aux démarches de Steven Soderbergh dans Che ou Olivier Assayas dans Carlos. Sans doute certains plans et dialogues télévisuels nuisent-ils à l’harmonie de l’ensemble mais Après la guerre révèle un vrai talent de cinéaste.

Gérard Crespo


1h33 - Italie, France - Scénario : Annarita ZAMBRANO, Delphine AGUT - Interprétation : Giuseppe BATTISTON, Barbora BOBULOVA, Charlotte CÉTAIRE, Fabrizio FERRACANE, Elisabetta PICCOLOMINI, Jean-Marc BARR, Marilyne CANTO.

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