La Terre et l'ombre
La Tierra y la Sombra
de César Augusto Acevedo
Semaine de la Critique
Caméra d'or
Prix SACD - Prix Révélation France 4


Sortie en salle : 3 février 2016




Les limbes d’un espace temps volontairement retranscrit comme interminable

Alfonso est un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade. Il retrouve son ancienne maison, où vivent encore celle qui fut sa femme, sa belle-fille et son petit-fils. Il découvre un paysage apocalyptique. Le foyer est cerné par d’immenses plantations de cannes à sucre dont l’exploitation provoque une pluie de cendres continue. 17 ans après avoir abandonné les siens, Alfonso va tenter de retrouver sa place et de sauver sa famille.
Des vies sacrifiées. La Tierra y la Sombra vient scruter le quotidien malmené d’une famille, isolée au milieu des cannes à sucre, dans un monde à la végétation d’exploitation qui incarne davantage l’oppression d’un labeur incessant, à la Sisyphe, que les champs glorieux de l’Amérique de Hopper. Le fils de la famille, devenu lui-même jeune patriarche, est condamné par la maladie, profondément atteint dans ses poumons, fruit d’un étouffement auquel il a forcément cédé, avec le temps...
Ce temps long, lent, celui de près de deux décennies pour sa mère, passées sans son époux qui l’a abandonnée. Celui-ci va toutefois revenir l’aider alors que vient poindre l’agonie de leur fils, cette bête de somme qu’il faut remplacer au boulot.
Ce temps long, lent, celui du film, exsangue, probablement hors du seuil de tolérance des spectateurs...

Mais n’est-ce pas là le rythme de l’agonie, le battement de cœur au ralenti d’êtres dans la marge, que l’on a contraint trop longtemps à un abattage surhumain, et qui n’ont plus la force de se battre dans une société de l’exploitation qui semble les assassiner lâchement, après usage, sans même leur donner le droit aux soins médicaux, cette société de l’opulence que l’on imagine sous les traits de cette ville dessinée à l’horizon ? Ses traits urbains sont forcément disgracieux comparés à la beauté du cadre naturel...

Le jeune réalisateur, César Acevedo, habile, manipule tous les codes du cinéma languissant sud-américain. On pense à l’aridité d’un cinéma argentin, celui de La Cienaga de Lucrecia Martel, sauf qu’il s’agit d’une œuvre colombienne, et rares sont celles qui ont eu l’occasion de se frayer un chemin jusqu’à Cannes. Les atouts reconnus de La Tierra y la Sombra sont effectivement nombreux. Le principal repose en sa réalisation visionnaire, évocatrice de Tarkovski, référence avouée du cinéaste, avec le plan du cheval qui occupe l’intérieur de la maison, mais aussi du cinéma de Carlos Reygadas, également, qui lui aussi, dans Japon, avait su filmer un monde agricole ou ouvrier farouchement meurtri, avec des plans audacieux, inoubliables...
Chez Acevedo, la splendeur de la photographie et la majesté de la mise en scène, toujours impressionnante, raisonnent d’autant plus que les mots murmurés à l’écran sont rares. Film sur le combat et la rédemption, l’atavisme et l’enracinement farouche à la terre, La Tierra y la Sombra donne l’occasion au cinéaste d’engager un point de vue enflammé, qui prend tout son sens dans son magnifique final apocalyptique.

Frédéric Mignard

En collaboration avec le site aVoir-aLire



 

 


1h37 - Colombie, Chili, Brésil, France - Scénario : César ACEVEDO - Interprétation : Haimer LEAL, Hilda RUIZ, Edison RAIGOSA.

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