Ran
de Akira Kurosawa
Sélection officielle
Cannes Classics
Cinéma de la Plage


Sortie en salle : 6 avril 2016





« C'est un malheur du temps que les fous guident les aveugles. »

Au XVIe siècle, au Japon, le vieux Hidetora Ichimonji (le prodigieux Tatsuya Nakadai) décide de partager son fief entre ses trois fils, afin de garantir la paix et de trouver la sérénité. Mais les rivalités entre les trois frères plongent très vite la famille et la région dans le marasme... Après le triomphe de Kagemusha, Palme d'or à Cannes en 1980, Akira Kurosawa entreprit cette libre adaptation du Roi Lear, produite par le Français Serge Silberman et le Japonais Masato Hara. Il s'agit de son dernier chef-d'œuvre, qui reprend les constantes thématiques et stylistiques déployées dans sa filmographie depuis Les Sept samouraïs. Kurosawa s'était déjà frotté à l'univers de Shakespeare avec Le Château de l'araignée, d'après Macbeth, qu'il avait transposé dans un Japon médiéval. Le Roi Lear a lui aussi fait l'objet de modifications, mais pas seulement de cadre géographique. C'est ainsi que les trois personnages féminins principaux (les filles du roi) ont été remplacés par des hommes, sans doute en cohérence avec les règles de la succession dans la société traditionnelle japonaise, ainsi que les codes spécifiques au film d'action. Si Ran est fidèle à la représentation des aspects de la nature humaine chère au dramaturge anglais, Kurosawa se réapproprie le matériau en accentuant les conflits moraux auxquels se heurtent des personnages solitaires et supérieurs, comme cela fut le cas avec Yojimbo ou Sanjuro. Sur le plan plastique, Ran est une véritable splendeur, que d'aucuns ont assimilé à tort à de l'académisme perfectionniste.

En fait, jamais Kurosawa n'avait été aussi loin dans la composition picturale de ses plans, lui qui avait étudié la peinture classique et moderne à l'école des beaux-arts de Tokyo, avant de se consacrer au cinéma. La beauté majestueuse qui parcourt le film, accentuée par le jeu sur les couleurs (dont le rouge flamboyant récurrent), ne tend pourtant pas vers la préciosité formaliste, l'esthétique ne nuisant jamais, bien au contraire, à la puissance narrative du récit. C'est particulièrement le cas pour les scènes de bataille, vertigineuses lorsque les troupes se déploient, oriflammes au vent. À côté de ces morceaux de bravoure, Kurosawa aligne des scènes intimistes, proches du psychodrame familial, et révélant des enjeux de pouvoir. Comme dans Cléopâtre de Mankiewicz, cette alternance de passages délibérément théâtraux et de séquences à grand spectacle reflète une mise en scène harmonieuse et maîtrisée de bout en bout. On reste ainsi subjugué par ces images au ton frôlant le fantastique, du seigneur devenu fou errant dans la forêt, à l'assassinat de dame Kaede, la belle-fille intrigante, ivre de haine et de vengeance. Diversement accueilli à sa sortie, Ran s'avère être rétrospectivement un film majeur de l'auteur de Rashômon. Il obtint plusieurs récompenses, dont l'Oscar des meilleurs costumes (Emi Wada) et les BAFTA du meilleur film étranger et du meilleur maquillage.

Gérard Crespo


 

 


1985 - 2h42 - Japon - Scénario : Akira KUROSAWA, Hideo OGUNI, Masado IDE, d'après la pièce "Le Roi Lear" de William Shakespeare - Interprétation : Tatsuya NAKADAI, Akira TERAO, Jinpachi NEZU, Diasuke RYÛ, Mieko HARADA.

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