Cléopâtre
Cleopatra
de Joseph L. Mankiewicz
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 27 avril 2016




« Rome, l'unique objet de mon ressentiment »

Quand la 20th Century Fox entreprend le projet de Cléopâtre, elle se lance dans le tournage interminable de ce qui était alors la superproduction la plus coûteuse depuis Autant en emporte le vent. Le film ne rentra pas dans ses frais et fut un échec cuisant pour la firme hollywoodienne. Le grand public le trouva bavard et moins spectaculaire que Ben Hur ou Les Dix commandements. La critique regretta la compromission de Joseph L. Mankiewicz, l'un des cinéastes les plus raffinés et érudits de Hollywood (Eve, La Comtesse aux pieds nus), réduit au rang de maître de chantier d'un roman-photo historique égayé de morceaux de bravoure. Le très sérieux Georges Sadoul se risqua même à un calembour dans son Dictionnaire des films, estimant qu'« au lieu de quatre heures, elle en paraissait, cette Cléo, de cinq à sept ».

Certes, la première partie, axée sur le rapprochement de Cléopâtre et César, est peut-être moins aboutie, en dépit de l'excellent Rex Harrison, que le cinéaste avait déjà dirigé dans L'Aventure de Madame Muir (1947) : on pourra être, en effet, agacé par les conventions d'un certain cinéma historique, basé sur les intrigues de pouvoir et d'alcôve avec sons de trompettes et déclamation théâtrale de seconds couteaux. Martin Landau, Hume Cronyn, Rody MacDowall ou Grégoire Aslan, d'une raideur toute scénique, n'échappent pas au surjeu d'un John Gielgud dans Jules César (1953), adaptation shakespearienne par le même réalisateur.

Mais ces réserves sont minimes, eu égard à la beauté poignante de l'ensemble et des qualités de la dramaturgie. Avec le recul, Cléopâtre marque l'apogée du péplum et frappe par le paradoxal mélange de sobriété et de magnificence de la mise en scène, jamais étouffée par les figurants, les décors somptueux (galères, chars, palais royaux), ou les costumes : Irene Sharaff contribue ici à un apparat vestimentaire, avec une création de soixante robes pour Cléopâtre, sans compter les djellabas et les toges ! Aux scènes intimistes (qui semblent le plus être associées à l'univers de Mankiewicz) succèdent quelques séquences incontournables, dont la triomphale entrée de la reine dans Rome, une danse orgiaque où une fausse Cléopâtre allume Marc-Antoine, et un combat naval final magistralement filmé. Au carrefour de ces deux tendances du film (le minimalisme et le faste), on citera une éblouissante séquence onirique, qui voit Cléopâtre consulter une voyante, le meurtre de César apparaissant en surimpression. L'œuvre doit aussi beaucoup au couple formé (dans le récit comme à la ville), par Elizabeth Taylor et Richard Burton. Les cris de jalousie ou de dépit alternant avec les témoignages d'amour semblent ironiquement autobiographiques, tout en anticipant leurs compositions dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (Mike Nichols, 1966). Cette œuvre qui s'achève par un double suicide après une défaite militaire est elle-même un chant du cygne, celui d'un certain classicisme hollywoodien. Dès la seconde moitié des années 60, le cinéma américain commencera sa période de démystification sous l'égide des Altman, Penn et autres Peckinpah...

Le film a été présenté à Cannes après restauration numérique en 4K par la 20th Century Fox.

Gérard Crespo


 

 


4h03 - États-Unis - 1963 - Scénario : Sidney BUCHMAN, Ben HECHT, Joseph L. MANKIEWICZ, Ranald MacDOUGALL - Interprétation : Elizabeth TAYLOR, Richard BURTON, Rex HARRISON, Martin LANDAU, Hume CRONYN, Grégoire ASLAN, Rody McDOWALL.

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