Masaan
Le Bûcher
de Neeraj Ghaywan
Sélection officielle
Un Certain Regard

Prix de l'avenir
Prix FIPRESCI


Sortie en salle : 24 juin 2015




« Bénarès est plus vieille que l’histoire, plus vieille que la tradition, plus vieille même que la légende, et elle a l’air d’être plus vieille que les trois réunies. » (Mark Twain)

Le film démarre fort, par le plan fixe d'une jeune femme en sari regardant une vidéo porno. Devi se rend ensuite avec un étudiant dans un hôtel. Leur intimité est troublée par l'intervention musclée de la police. Constat de relation sexuelle en dehors du mariage, arrestation violente, menaces : le jeune homme se réfugie dans la salle de bains et c'est le drame... Masaan va suivre le destin croisé de Devi et autres personnages vivant à Benarès. Cette cité sainte au bord du Gange ne rigole pas avec les traditions morales et sanctionne lourdement celles et ceux qui les transgressent. Devi et son amant viennent d'en faire les frais, tandis que des policiers corrompus demandent à Pathak, le père de Devi, une grosse somme d'argent pour étouffer l'affaire. Pendant ce temps, Deepak, qui vient de terminer ses études scientifiques, tombe amoureux de la belle et douce Shaalu. Mais cette dernière est de caste supérieure, tandis que Deepak, appartient aux intouchables... Premier long métrage de Neeraj Ghaywan, Masaan n'est pas un film choral à proprement parler : le nombre de protagonistes est limité, et le récit se présente plutôt comme la juxtaposition de deux histoires, un drame de mœurs étant traité en parallèle avec une romance sentimentale contrariée. La qualité première du film est d'abord dans cette construction subtile qui, sans être foncièrement originale, révèle une maîtrise dans l'écriture du scénario. Cette aptitude n'est pas toujours fréquente chez les cinéastes débutants, même s'il faut préciser que Neeraj Ghaywan a été ici assisté par Gilles Taurand, collaborateur de Téchiné et Jacquot. Par ailleurs, l'œuvre réussit à montrer le poids du dilemme entre le respect des coutumes et le choix de la modernité, surtout en territoire sacré.

« Nous avons eu envie de filmer dans une ville d’aujourd’hui, en pleine mutation, où les jeunes parlent de leur ambition de devenir ingénieur ou de Facebook, tout en se sentant pris dans un étau socio-économique », a déclaré le cinéaste. Les différentes étapes de la vie d'un hindou sont en effet régies par les textes religieux et la société en tant que telle. L'endogamie y est institutionnalisée, en dépit de l'abolition officielle du système des castes. Quant à la femme indienne, elle reste souvent soumise à un patriarcat rigide, y compris lorsqu'elle est diplômée et cultivée. Le film montre alors avec force les difficiles velléités d'émancipation, compte tenu de la soumission imposée à l'ordre ancien. Mais ce qui frappe le plus dans Masaan, c'est la façon dont Neeraj Ghaywan traite le thème de la mort, qui concerne tous les personnages, et qui culmine avec les scènes de crémation, où les corps sont brûlés près de l'eau, selon la tradition. Des moments clefs du film, qui permettront d'ailleurs d'établir de troublantes correspondances avec Le Fils de Saül, présenté en compétition officielle. Mêlant approche documentaire et stylisation, éléments romanesques et policiers, efficacité narrative et critique sociale, dialogues abondants et non-dits suggestifs, Masaan est plus que prometteur et révèle un véritable auteur, qui avait fait ses classes en étant l'assistant d'Anurag Kashyap sur le tournage de Gangs of Wasseypur (dont il a réalisé le making-of). C'est aussi dans ce film qu'on avait découvert l'éblouissante Richa Chadda, qui interprète dans Masaan le rôle de Devi. Nettement supérieur à Titli, une chronique indienne, présenté l'an passé dans la même section Un Certain Regard, Masaan est une œuvre majeure qui n'a pas volé ses différents prix.

Gérard Crespo

 



 

 


2h - Inde, France - Scénario : Neeraj GHAYWAN, Varun GROVER, Gilles TAURAND - Interprétation : Richa CHADDA, Vicky KAUSHAL, Sanjai MISHRA, Shweta TRIPATHI, Pankaj TRIPAYHY.

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