Le Fils de Saul |
Quel regard construire devant la mort et face à la barbarie ? Laszlo Nemes, né en Hongrie en 1977, a passé sa jeunesse à Paris, y a suivi des études de sciences politiques et de cinéma avant de rejoindre Budapest en 2003. Assistant de Béla Tarr sur L’Homme de Londres, auteur de courts métrages, le cinéaste aborde pour son premier long un sujet fort et choc. L’action est située en 1944, à Auschwitz-Birkenau. Saül Aunsländer est membre du Sonderkommando, ce groupe de prisonniers juifs forcés de coopérer avec les nazis pour la solution finale. Saül travaille dans un des crématoriums quand il découvre le cadavre d’un garçon dans les traits duquel il reconnaît son fils. Alors que ses pairs préparent une révolte, Saül s’obstine à sauver le corps de l’enfant des flammes, et lui offrir une véritable sépulture. Une partie de sa famille ayant été exterminée à Auschwitz, Laszlo Nemes a été très impliqué dans le projet et s’est basé sur un gros travail de documentation, dont les témoignages d’anciens du Sonderkommando et d’historiens (Gideon Greif). Des séquences de Shoah de Claude Lanzmann ont également été utiles à la reconstitution des faits. Le récit décrit ainsi, avec réalisme mais sans effets ni sensationnalisme, le rituel de l’assassinat des déportés dès leur entrée en gare. De l’accueil des convois à la dispersion des cendres, en passant par le nettoyage des chambres à gaz, la narration représente les différentes étapes d’une barbarie organisée à l’échelle industrielle, avec une stricte rationalité dans la chaîne d’extermination : la recherche de la productivité maximale se révèle d’ailleurs par le biais du langage, les SS utilisant le mot « Stücks » (« pièces ») pour désigner les corps. |
Pourtant, Le Fils de Saül choisit de se concentrer sur un seul personnage, non héroïsé, et se refuse à tout montrer. Si la caméra suit Saül dans ses déplacements (dans la salle des autopsies, au pavillon des femmes), le hors-champ reste en effet la règle. La grande intelligence du film est ainsi de ne pas exhiber l’horreur de face, et notamment l’épouvante de l’entrée dans les chambres à gaz. Non que l’œuvre ne veuille pas aller jusqu’au bout d’une démarche réaliste, mais Laszlo Nemes et ses collaborateurs ont opté pour une démarche sobre et épurée. Le travail du chef opérateur (Matyas Erdély) et du décorateur (Laszlo Rajk) va d’ailleurs dans ce sens, le refus de faire un film d’horreur allant de pair avec la volonté de fuir tout esthétisme et romanesque. Il va sans dire que le résultat est remarquable et que Le Fils de Saül est sans doute la meilleure fiction sur les camps de concentration, dépassant de loin les autres films sur le même thème dont La Liste de Schindler de Spielberg. Claude Lanzmann, en larmes après la projection de la séance du lendemain du Festival, reconnaîtra peut-être qu’une fiction est possible sur l’holocauste, à condition de s’entourer d’une vision morale et cinématographique du niveau de celle de Laszlo Nemes. Et s’il va de soi que si Le Fils de Saül n’a pas volé son Grand Prix, on peut regretter qu’une Palme d’or n’ait pas couronné l’œuvre la plus forte et aboutie de la compétition officielle. Gérard Crespo
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1h47 - Hongrie - Scénario : Laszlo NEMES, Clara ROYER - Interprétation : Géza RÖHRIG, Molnar LEVENTE, Urs RECHN. |