Mezzanotte
Piu Buio di Mezzanote
de Sebastiano Riso
Semaine de la Critique


Sortie en salle : 24 juin 2015




Les nuits de Davide

Diplômé de l'Académie des Beaux-Arts de Rome après avoir été assistant réalisateur, Sebastiano Riso signe avec Mezzanotte un premier long métrage sensible, d'une poésie discrète, et qui a le mérite de dépasser le ton lisse et consensuel d'un certain cinéma de festival. Davide, un ado sicilien de quatorze ans, a décidé de quitter le foyer familial. Persécuté par son père (Vincenzo Amato) en raison de son caractère androgyne, il n'a pas pu être protégé par sa mère (Micaela Ramazzotti), une femme fragile qui sombre peu à peu dans la cécité. Le jeune homme trouve refuge à la Villa Bellini, un parc de Catane. Ce lieu est habité par des marginaux, dont des homosexuels et transsexuels se livrant la prostitution. Davide devient vite la mascotte d'une petite bande d'êtres désœuvrés mais qui l'intègrent à leur quotidien. Le film est scindé en deux parties dont les séquences alternent : la vie de Davide avant et après sa fugue, avec de troublantes correspondances. C'est ainsi que les coiffures du garçon (cheveux longs puis courts) sont présents dans les deux segments, sans cohérence chronologique, pour mieux faire apparaître la dualité de son apparence tout au fil de l'histoire. D'autres détails viennent d'ailleurs s'immiscer dans le confort narratif du spectateur. Si l'intrigue semble se dérouler de nos jours (la présence du téléphone portable), on trouvera au gré de multiples séquences un brouillage des pistes temporelles, des disques vinyles, de vieux écrans d'ordinateur ou un cinéma porno suggérant que l'action aurait pu être située entre les années 80 et 2000, période de l'enfance et de l'adolescence du réalisateur. Le matériel technique utilisé est d'ailleurs en cohérence avec cette démarche, une caméra digitale de la dernière génération étant combinée à une lentille anamorphique des années 70, avec ses couleurs et imperfections optiques.

Le cinéaste a ainsi souhaité « transmettre aux spectateurs le sentiment de quelque chose qui se passe aujourd'hui, mais qui aurait pu arriver dans le passé, ou pourrait se reproduire dans un futur proche ». En outre, loin d'être tenté par le misérabilisme et le psychologisme, Sebastiano Riso se permet des ellipses ou des plans qui peuvent paraître frustrants mais obligent en fait le public à s'impliquer dans le récit. C'est en particulier le cas avec la mort de l'un des marginaux dans des circonstances que nous ignorons, ou des retrouvailles familiales dans un bus, la bande sonore ne permettant pas de connaître les propos échangés entre la mère et le fils. Mezzanotte frappe donc par son pouvoir suggestif et son refus de baliser le scénario avec des recettes éprouvées. Il s'en dégage un ton très personnel, mais on est tenté de rattacher le film à tout un courant du cinéma italien, d'Allemagne année zéro de Roberto Rossellini à L'Incomprise d'Asia Argento. Pas seulement parce que Riso aborde le thème du désarroi de l'enfance : le cinéaste réussit ce mélange d'approche documentaire (les déambulations dans le parc) et de décalage poétique typique de certains réalisateurs. Et l'on n'est guère surpris d'apprendre que Riso admire le Truffaut des Quatre cents coups autant que le Garrone de Gomorra. Récit d'une rébellion et peut-être d'une libération, Mezzanotte est une belle ode à la différence, autant qu'un film subtil et insolite. Davide Capone, que le réalisateur a déniché dans les rues de Catane après avoir fait faire des bouts d'essai à des centaines de jeunes, est d'une fragilité et d'une force intérieure qui conviennent parfaitement au personnage.


Gérard Crespo


 

 


1h34 - Italie - Scénario : Andrea CEDROLA, Stefano GRASSO, Sebastiana RISO - Interprétation : David CAPONE, Vincenzo AMATO, Pippo DELBONO, Micaela RAMAZZOTI, Fabio GROSSI.

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