Leviathan
de Andrey Zvyagintsev
Sélection officielle
En compétition

Prix du scénario


Sortie en salle : 24 septembre 2014




La laborieuse alliance de l'homme et de l'État

Leviathan est un peu une synthèse de l'art d'Andreï Zviaguintsev, qui allie la lenteur contemplative du Retour et du Bannissement à l'allégorie d'un scénario charpenté, comme cela fut le cas avec Elena. Le cinéaste dresse ici un portrait sans concessions de la société russe, avec ses élus et magistrats corrompus, ses citoyens muselés, ses petites magouilles au quotidien. Situant l'action dans une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie, le réalisateur fait de Kolia le protagoniste d'un drame juridique qui va l'anéantir. Kolia tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lilya et son fils adolescent Roma, né d'un précédent mariage. Quand Vadim Cheveliat, l'inquiétant maire de la ville, souhaite s'approprier son terrain, Kolia résiste et fait appel à un ami avocat, qui non seulement s'avère incompétent mais de surcroît devient l'amant de Lilya. Pendant ce temps, Cheveliat se fait de plus en plus en plus agressif...

Drame conjugal, policier et politique, Leviathan réussit à décrire un microcosme social gangrené, où même les solidarités de proximité sont défaillantes. Semble échapper de justesse à ce constat pessimiste un couple d'amis de Lilya et Kolia. Lui est un policier de la route, adepte des tournées de vodka ; elle est forte en gueule et bourrue mais sera la première à apporter une aide véritable à Kolya et sa famille. Mais il faut se méfier des apparences... Une virée près de la mer constitue le meilleur passage du film, qui voit un pique-nique entre potes plus ou moins sincères dégénérer en vil règlement de comptes.

Pour la première fois, Zviaguintsev fait preuve d'un humour féroce : il n'y a plus de bouteilles vides pour servir de cible à une partie de tir à la carabine ? Qu'à cela ne tienne : des portraits de Staline, Khrouchtchev ou Brejnev feront l'affaire. Et quand un invité se demande pourquoi manquent les portraits des derniers chefs d'État, il se voit répondre que « nous manquons de recul historique ». Ces digressions amères alternent avec des moments plus oppressants, au cours desquels la pieuvre bureaucratique et mafieuse engouffre inexorablement Kolia. Zviaguintsev établit avec ce film une charge féroce contre la Russie, dont l'absence de culture démocratique semble une constante, depuis l'époque tsariste à celle de Poutine, en passant par le régime soviétique. Le propos du réalisateur se veut plus large : « Je suis profondément convaincu que, quelle que soit la société dans laquelle chacun de nous vit […], nous serons tous confrontés à l'alternative suivante : vivre en homme libre ou vivre en esclave. Et si nous pensons naïvement qu'il doit bien y avoir un type de régime étatique qui nous libère de ce choix, nous nous foudroyons totalement ».

Cette vision désenchantée se transcrit admirablement dans des images dépouillées et des plans fixes fréquents, qui donnent au récit une sécheresse hautaine et distanciée. Si la démarche de Zviaguintsev pourra sembler trop démonstrative, la force de sa mise en scène n'est pas remise en cause.

Gérard Crespo


 

 


2h20 - Russie - Scénario : Oleg NEGIN, Andrey ZVYAGINTSEV - Interprétation : Vladimir VDOVICHENKOV, Elena LYADOVA, Aleksey SEREBRYAKOV.

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