Elena
de Andrei Zvyaginstsev
Sélection officielle
Un certain regard (Clôture)
Prix spécial du Jury



Sortie en salle : 7 mars 2012




Une femme russe

Après Le retour (2003) et Le bannissement (2007), Elena confirme le talent de Andrei Zvyagintsev, sans doute le plus grand cinéaste russe de sa génération. Le film commence par six (longs) plans fixes visant à peindre l'univers bourgeois de Elena, ancienne infirmière ayant contracté un mariage avec Vladimir, homme d'affaires cupide et sans âme. On pourrait se croire dans le dispositif de Jeanne Dielman (Chantal Akerman, 1975), par la précision avec laquelle le cinéaste se focalise sur le quotidien d'un couple de sexagénaires. Mais il n'en est rien, ou si peu, le minimalisme des premières séquences ne servant qu'à cadrer l'action et situer les personnages. Le drame conjugal qui défile sous nos yeux revêt d'emblée les allures du film social et ne semble à priori ne symboliser rien d'autre que l'éternelle lutte des classes : Elena, épouse soumise, ne vit que dans l'ombre de son conjoint obnubilé par une fille ingrate, née d'un premier mariage. Elena elle-même, mariée depuis une dizaine d'années, tente de sauver le quotidien de son fils, père de famille au chômage et désœuvré dans une banlieue désaffectée. Mais son riche époux ne jure que par la méritocratie et l'individualisme et ne saurait aider ce beau-fils qu'il juge paresseux et opportuniste. Aussi, quand une crise cardiaque terrasse Vladimir, Elena se décide à un plan sauvant l'honneur et les finances de sa petite famille...

Si dans sa première partie le film excelle à montrer les injustices liées à la domination patriarcale et financière des classes supérieures dans une Russie minée par l'individualisme, les hiérarchies sociales étant plus fortes que les solidarités familiales, le récit de Zvyagintsev prend très vite une autre dimension. Le geste salvateur de Elena n'est en fait que le reflet d'une absence totale de conscience morale. « Chacun a ses raisons », estimait Renoir : L'élimination d'une belle-fille cynique mais injustement spoliée de ses biens et le vol d'argent au profit d'un ado bagarreur et indifférent ne paraissent guère meilleurs que l'injustice sociale initiale, semble nous dire un cinéaste lucide davantage que misanthrope. Son propos est en cohérence avec une mise en scène magistrale, utilisant à merveille des mouvements de caméra scrutateurs et une bande sonore maîtrisée, à commencer par la musique de Philip Glass qui confère au récit un statut de tragédie oppressante et vertigineuse. Dans le rôle de Elena, Nadezhda Markina, au jeu aussi puissant que Simone Signoret et aux faux airs de Dora Doll ou Kathy Bates, offre une hallucinante composition de femme partagée entre la soumission et la détermination.

Gérard Crespo



1h49 - Russie - Scénario : - Interprétation : Andrei SMIRNOV, Nadezhda MARKINA, Yelena LYADOVA.

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