Reality
de Matteo Garrone
Sélection officielle
En compétition

Grand Prix


Sortie en salle : 3 octobre 2012




Souriez, vous êtes filmés

Quatre ans après Gomorra, Matteo Garrone décroche un second Grand Prix avec cette comédie grinçante. Après l'univers de la mafia, le cinéaste cible celui de la télé-réalité à travers l'histoire de Luciano, patron d'une poissonnerie napolitaine, obsédé par une émission à succès, Grande Fratello. Espérant être sélectionné, il calque son existence sur les principes du jeu télévisé qui réunit et filme des participants dans un appartement, 24 heures sur 24. La séquence d'ouverture est magistrale, qui voit la célébration d'un mariage dans une villa somptueuse, avant qu'une subtile mise en abyme ne fasse reconsidérer la scène sous un autre angle. Moins éclaté que Gomorra, Reality est davantage centré autour d'un personnage principal glissant doucement mais sûrement vers les frontières de la folie. Les autres protagonistes (épouse, nièces, voisins...) forment des archétypes d'une communauté marquée par la débrouillardise, les petites combines et l'aliénation par la société du spectacle commercial permanent. Deux passages réussis retiendront ici l'attention : une délicieuse arnaque au robot ménager, dans l'esprit du Pigeon de Mario Monicelli ou de L'argent de la vieille de Luigi Comencini ; et une scène de ménage savoureuse lorsque Luciano, désireux de faire le bien car se croyant filmé, se débarrasse de ses meubles en les passant par la fenêtre, sous le regard bienveillant de badauds... Il est clair que Garrone est passionné par son sujet et l'élégance de son montage est au service d'une dénonciation parfois féroce d'un certain berlusconisme.

D'où vient alors le sentiment d'inachèvement de cette œuvre inégale ? Sans doute Garrone hésite-t-il entre la comédie et le drame et réalise un film à la tonalité un peu tiède, ni franchement drôle, ni sombre dans la tragédie de la manipulation sociale. La grande époque de la comédie italienne semble désormais révolue : on sourit tout au plus aux frasques de cette famille éblouie par le miroir à la célébrité, nulle émotion ou compassion n'apparaît lorsque le film prend un virage plus marqué vers le portrait d'un dérangement mental. En outre, Le cinéaste semble enfoncer des portes ouvertes. Des films aussi divers que Bellisima (Luchino Visconti, 1951), Ginger et Fred (Federico Fellini, 1986), ou Le Caïman (Nanni Moretti, 2006), ont déjà abordé ces thématiques ; et encore il ne s'agit pas des sommets de la filmographie de leurs auteurs. On notera toutefois le jeu impeccable de Aniello Arena, histrion inspiré (et par ailleurs acteur incarcéré), qui suit la voie d'une certaine tradition incarnée naguère par les Totò, Gassman, Sordi, Tognazzi et autres Manfredi. N'était la présence de Jean-Louis Trintignant ou Mads Mikkelsen, le comédien aurait été un potentiel prix d'interprétation masculine : une récompense qui aurait été autrement plus audacieuse que ce second Grand Prix, excessif et injuste compte tenu de la présentation d'autres films de qualité en compétition.

Gérard Crespo


 

 

 


1h50 - Italie - Scénario : Matteo GARRONE - Interprétation : Claudia GERINI, Ciro PETRONE, Aniello ARENA.

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