Paradis : amour
Paradies : liebe
de Ulrich Seidl
Sélection officielle
En compétition



Sortie en salle : 9 janvier 2013




Ils te prennent comme tu es

Premier volet d'une trilogie sur le portrait de trois femmes d'une même famille, Paradis : amour est le nouveau film de l'auteur de Dog Days et Import Export, présenté en sélection officielle en 2007. Il confirme le penchant et le talent d’Ulrich Seidl à donner à voir des œuvres peu aimables, sans concessions, sans tabous, s’appropriant le genre documentaire pour mieux le détourner. Gratter le vernis, ici celui de l’exotisme et de la liberté, voilà sa marotte. Sous la plage, les pavés…

Sa fille indolente, son quotidien rébarbatif, Teresa les abandonne volontiers en Autriche. Elle s’envole pour le Kenya, dans un coin nommé Shanzu. Au Flamingo Beach Hotel, une troupe de « locaux » lui fait un accueil trois étoiles, avec collier de coquillages, de Jambo bwana à Hakuna matata et, sitôt le jus de mangue avalé, direction la chambre où l’attend déjà la valise qu’elle a préparée avec tant de soins. Sans oublier le détergeant pour « donner un coup » aux sanitaires, on ne sait jamais avec ces Noirs. Car Teresa est maniaque, tout ce qui fallait au réalisateur lui aussi toujours très accro aux détails.

À la caricature parfaite du tourisme beauf en général, de toutes les situations, s’inscrit cependant en parallèle la trajectoire que lui donne Teresa en particulier. Sa joie presqu’enfantine de la découverte, des vacances, de la mer et du soleil, de la vie todo incluido à l’hôtel exulte à la faveur de la scène hilarante du singe, de la banane et de la photo.

Branchée par une « habituée » des us et coutumes du coin – et de tant d’autres –, Teresa découvre cet étrange rituel qui, sur la plage et séparés par une cordelette chargée de symbole, met face à face les touristes blancs alignés sur leurs matelas et les jeunes Kenyans alignés le dos à la mer. Sugar mamas vs beach boys. « Ça t’arrivera », lui assure sa copine. Malgré son âge, ses bourrelets, ses rides ? Oui, et c’est même elle qui « le » choisira : toujours « opé », on peut vérifier la dentition, tâter les muscles de son acquisition… avant de se laisser embarquer par une de ces mobylettes qui mènent un ballet infernal à la sortie du ghettôtel. Retour vers l’horreur de l’esclavagisme ? Non, simple routine, persifle, et c’est là toute la force du film, Ulrich Seidl. Alors, puisque tout cela est normal, ça arrive en effet à Teresa, avec Munga (beach boy de son état sur les plages de Mombassa), enfin un qui ne l’embête pas à chaque pas avec un collier de graines ou quelqu’autre saleté à vendre.

Entre quête de tendresse et commerce de l’amour, entre chair triste et chair fraîche, entre naufrage d’un continent et naufrage de la vieillesse, alors que les déséquilibres s’entrechoquent, lequel est la proie de l’autre ? Où faut-il placer le curseur de l’humiliation, du racisme ? Pour arriver à s’exécuter avec « sa grosse », Munga a quand même besoin d’un minimum de concentration : « Tu rigoles trop » « Tu parles trop » la calme-t-il, tandis que Teresa tente de refaire l’éducation de son « amant » en matière de préliminaires, sur lesquels elle est là aussi très pointilleuse.

Le film est dur, le propos graveleux, le concept malsain, les images crues… et Margarethe Tiesel courageuse, qui porte toute cette sordidité sur ses épaules et qui était une prétendante sérieuse au prix d’interprétation.

Marie-José Astic

 

 

 


2h00 - Autriche - Scénario : Veronika FRANZ, Ulrich SEIDL - Interprétation : Maria HOFFSTATTER, Margarete TIESEL, Inge MAUX.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS