Il était une fois en Anatolie |
« Merci » Lorsque Kenan, quasi-mutique, prononce ce mot à l’attention de la main qui lui tend une cigarette, Nuri Bilge Ceylan extériorise toute l’humanité du monde, une humanité qui vient de loin mais qui éclate pourtant dans toute sa sobriété. Il était une fois… c’est en principe le début d’une histoire dans les livres d’enfants. Dans Once upon a time in Anatolia, il se pourrait bien que ce soit à la fin de l’histoire que nous invite Ceylan, pas forcément très aimablement. Car il y a deux façons de vivre ce qu’il faut bien appeler « expérience » le visionnage d’un tel film : soit on le prend tel qu’il semble être, laissant le formalisme contemplatif poussé à l’extrême prendre le pas sur tout le reste (et se persuader qu’il n’y a rien d’autre) ; soit ajouter du fond à la forme en menant discrètement son enquête personnelle et en l’occurrence parallèle, puisqu’enquête il y a également dans le film. On se prend alors en flagrant délit de mâtiner l’œuvre géniale de l’as du cadre toutes catégories d’une incongrue note ludique. Entre chien et loup, aux lueurs pâles d’un temps menaçant, des voitures se succèdent sur une route à peine vallonnée. Leurs occupants sont des policiers, un présumé coupable, un médecin, un procureur venu spécialement d’Ankara pour tenter d’élucider (terme à manier avec précaution en présence du réalisateur des Trois Singes) un décès, et surtout de retrouver le corps. |
Kenan, meurtrier tout désigné, contraint par le commissaire à servir de guide, peine à trouver le bon endroit : prétextant son ébriété la veille au moment du drame ou encore l’obscurité envahissant la campagne à la nuit tombante, il entraîne l’équipée de collines en vallons, de fausses pistes en louvoiements. Après le road movie et les huis clos des habitacles des véhicules, alors que Nuri Bilge Ceylan a, petit à petit et à notre insu, construit son histoire, la balade prend fin au matin, de retour à la petite ville et parmi ses habitants, en passant par la morgue et en se fixant en plongée sur la cour d’une école, où la veuve emmène son fils, là où des ballons jaunes courent entre les jambes des gamins. Entre temps, des gestes, un regard, des précisions kilométriques, un aveu intempestif, un visage d’ange, des objets ramassés sur la scène de crime, des pleurs étouffés… toutes choses apparemment anodines sont autant d’indices qui livrent quelques clés de cette histoire-là, croisant celle d’une « femme sublime » que raconte le procureur par épisodes au médecin, d’une femme qui connaît le jour de sa mort, de sa femme… Ces deux-là savent qu’il peut s’avérer « difficile de faire la différence entre l’homme et la bête », l’un confessant que « les femmes peuvent être très cruelles », l’autre constatant que « les enfants sont punis par les péchés des adultes », en réponse à ceux qui estiment que d’un yaourt, NBC fait tout un fromage… Marie-Jo Astic |
2h30 - Turquie - Scénario : Nuri BILGE CEYLAN, Ercsan KESAL, Ebru CEYLAN - Interprétation : Ylmaz ERDOGAN, Taner BIRSEL, Ahmet MUMTAZ TAYLAN. |