Robin des Bois
Robin Hood
de Ridley Scott
Sélection officielle
Hors compétition (Ouverture)
palme

Sortie en salle : 19 mai 2010




Robin ou l'héroïsme honteux

À l’aube du XIIIe siècle, Robin Longstride, humble archer au service de la Couronne d’Angleterre, assiste, en Normandie, à la mort de son monarque, Richard Cœur de Lion, tout juste rentré de la Troisième Croisade et venu défendre son royaume contre les Français.
De retour en Angleterre et alors que le prince Jean, frère cadet de Richard et aussi inepte à gouverner qu’obnubilé par son enrichissement personnel, prend possession du trône, Robin se rend à Nottingham où il découvre l’étendue de la corruption qui ronge son pays. Il se heurte au despotique shérif du comté, mais trouve une alliée et une amante en la personne de la belle et impétueuse Lady Marianne, qui avait quelques raisons de douter des motifs et de l’identité de ce croisé venu des bois.

Ridley Scott est certes l'un des plus influents cinéastes américains, il n'en demeure pas moins un auteur devenu (bon) faiseur, mais dont la faiblesse réside certainement dans cet intriguant manque de renouvellement. De Blade Runner à Thelma & Louise, le ravin stylistique est énorme ; alors comment peut-on aujourd'hui enchaîner trois films similaires (plus ou moins bons dans leur valeur artistique), trio historique porté par ce même héroïsme mâle ? On a souvent dit de Scott qu'il gagnait en finesse et qu'il demeurait l'un des rares cinéastes de grosses commandes américaines à avoir un contrôle et une vision personnelle toujours préservée, à l'instar du génial mentor de la production colossale qu'est Spielberg.

Mais quelle évolution peut-on saisir de Gladiator à Robin des Bois en passant par Kingdom of Heaven* ? Seulement un manque total de distanciation émotionnelle et un rapport à la mise en scène uniquement fonctionnel, c'est-à-dire efficace sans plus. Gladiator, premier de la série scottienne, pouvait convaincre puisqu'il appartenait au genre du péplum, lui-même raréfié à l'aube du XXIe siècle où la définition technologique prenait (et prend toujours) sa place. De plus, l'épisode historique, avec ce qu'il comprend de morale et de réadaptation parfois invraisemblable, demeurait mystérieux aux yeux d'une majorité du public. Puis vint Kingdom of Heaven, peut-être le plus réussi des trois films en cela qu'il a le mérite d'être porté jusqu'au bout par une pensée unique, en l'occurence l'esthétique et la retraduction des mythes entre ombre et lumière.


Mais cinq ans plus tard, que retrouve-t-on de cette matière vaguement améliorée par le temps? Un énième film de cape et d'épée, d'autant plus ennuyeux qu'il a maintes fois été adapté à toutes les sauces. Sans aucun doute avons-nous à faire ici à la version la plus prude qu'il nous ait été donné de voir. Remettre en cause le savoir-faire de son réalisateur serait un acte de pure mauvaise foi, mais en revanche que diable a-t-il pu vouloir traduire de plus ici ? Partir de l'homme avant la légende (objectif très racoleur), soit, mais l'impression persistante est de voir cette même légende racontée quelque temps avant les faits ; tout simplement parce que le film est au fond à l'image de tous les autres, si ce n'est une avancée technique éventuellement remarquable et qui l'éloigne de la version culte mais techniquement datée réalisée par Michael Curtiz avec Erroll Flynn en 1938.

Le plus embêtant est de voir à quel point Ridley Scott se répète et à partir de quel moment un sujet a priori poignant peut devenir à ce point dénué d'enjeux dramatiques. Les scènes de romance, inutiles et niaises, les scènes de combat, répétées à l'infini depuis Gladiator, la faible psychologie qui enrobe les caractères de personnages que l'on devine ambigus (l'idée des enfants masqués est là, mais jamais développée), et enfin, terrible faute comme l'a été la sourde oreille de Tarantino dans Inglourious Basterds, le texte français déclamé avec cette empathie toute française de comédiens paumés dans un délire américain démesuré.

Il y en a trop et jamais assez dans le même temps, beaucoup d'esbroufe et de giclures en gros plan, une certaine barbarie dans les combats qui ici ne prennent jamais, ou alors retombent directement après que les champs-contrechamps héroïques aient eu raison du regard bovin de Russell Crowe, excellent acteur visiblement condamné à interpréter jusqu'à la fin de ses jours ce même guerrier bravant les pièges de l'ennemi et du cœur des femmes. Sourcil froncés, l'œil mou et délavé comme si un rayon de soleil l'aveuglait, il nous permet d'écrire qu'on l'a connu plus investi dans la recherche charismatique et psychologique d'un personnage. Pourtant ce Robin des Bois n'a rien de foncièrement mauvais, mais suscite l'ennui que procure une grosse production mille fois vue et déroulée sans rythme ni idées. Cate Blanchett a beau être la magnificence incarnée, rien n'y change : Robin des bois se veut viscéral, profond, audacieux, mais il n'est que retenu par la raison et le bien-penséisme hollywoodien, c'est-à-dire la diabolique confusion entre l'art et son commerce.

* N'oublions pas non plus qu'entre Gladiator et Robin des Bois, Ridley Scott a réalisé trois autres films à mon avis mineurs et eux aussi ancrés dans ce "non-style" auquel il s'est adapté pour chaque genre : Une grande annéeAmerican Gangster et Mensonges d'État, ainsi que plusieurs productions qui auront su rehausser sa crédibilité artistique, en tout cas plus que les films précédemment cités.

Jean-Baptiste Doulcet


2h28 - Etats-Unis - Scénario : Brian HELGELAND, Ethan REIFF, Cyrus VORIS, Tom STOPPARD - Interprétation : Russell CROWE, William HURT, Cate BLANCHETT, Vanessa REDGRAVE, Léa SEYDOUX.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS