Sieranevada
de Cristi Puiu
Sélection officielle
En compétition








« Mais ça ne s’écrit pas comme ça »

Quelque part à Bucarest, trois jours après l’attentat contre Charlie Hebdo et quarante jours après la mort de son père, Lary - 40 ans, docteur en médecine - va passer son samedi au sein de la famille réunie à l’occasion de la commémoration du défunt. L’évènement, pourtant, ne se déroule pas comme prévu. Les débats sont vifs, les avis divergent. Forcé à affronter ses peurs et son passé et contraint de reconsidérer la place qu’il occupe à l’intérieur de la famille, Lary sera conduit à dire sa part de vérité... De Cristi Puiu, on avait beaucoup aimé La Mort de Dante Lazarescu, saisissant portrait d’un vieil homme pris au piège des rouages bureaucratiques de l’administration hospitalière, au cours d’une nuit mouvementée. Sieranevada suit le même dispositif de l’unité de temps. Au niveau spatial, les tensions entre les personnages ont pour cadre la sphère privée, à travers un huis clos qui n’est pas sans évoquer Festen. À l’exception de rares séquences en extérieur (dont un magnifique prologue en plan fixe dans une voiture), l’action se concentre dans l’appartement familial où éclateront les règlements de compte, les ressentiments et les névroses d’individus représentatifs de la nouvelle classe moyenne roumaine. De l’oncle tenté par le démon du midi au cousin trop sensible aux théories du complot, les travers des uns et des autres sont étalés au grand jour, sans que le cinéaste manifeste le moindre mépris pour eux. « Chacun a ses raisons », disait Renoir. Cela semble aussi le point de vue de Cristi Puiu qui n’en propose pas moins un regard incisif sur ses pairs. L’élément le plus pittoresque est sans doute cette tante, ancien cadre du Parti sous Ceausescu, et qui justifie les pires atrocités de l’ancien régime avec la mauvaise foi d’une rhétoricienne confirmée.

La longueur du film, si elle peut rebuter un temps, finit par s’imposer comme une évidence, pour nous familiariser avec cette parentèle et nous mettre au cœur du sentiment d’oppression qui rejaillit, ce que renforce une caméra située à hauteur d’homme, mettant le spectateur témoin au centre d’un processus d’identification. Ce film autobiographique (le scénario est tiré de l’expérience personnelle de Cristi Puiu) est par ailleurs une réflexion puissante sur la mémoire et le sentiment communautaire. « C’est une question de structure. Comme les abeilles, comme les fourmis, les humains vivent en communauté. Si l’on retire un élément de cette communauté, on doit tout reconfigurer. Tout va se recomposer. Quelqu’un meurt, et tout change pour les petites communautés que sont les membres d’une même famille. Il y a une lutte de pouvoir. On va chercher à savoir qui va finalement gagner ce pouvoir. Et chacun vient avec son propre discours, comme dans une campagne électorale », a déclaré le cinéaste. On appréciera aussi la précision documentaire avec laquelle il filme certains rituels, de la préparation du repas à la bénédiction du pope. La théâtralité du dispositif est quant à elle entièrement assumée mais tempérée par un travail permanent sur l’espace et le son, les portes ouvertes ou fermées permettant de saisir des bribes de paroles et des bouts d’histoires. Mêlant drame familial et film politique, traumatismes individuels et conscience collective, tendresse et cruauté, noirceur et humour, le réalisateur signe au final un fascinant portrait de groupe, magistralement interprété, notamment par Mimi Branescu. Déjà remarqué dans Mardi après Noël, l’acteur s’impose comme l’un des meilleurs du cinéma roumain.

Gérard Crespo


2h53- Roumanie, France, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Macédoine - Scénario : Cristi PUIU - Interprétation : Mimi BRANESCU, Bogdan DUMITRACHE.

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