La Loi du marché |
Le choix de Thierry Révélé par Le Bleu des villes en 1999, Stéphane Brizé s'est montré à l'aise dans la comédie (Je ne suis pas là pour être aimé) aussi bien que le drame (Quelques heures de printemps). La Loi du marché fait indiscutablement partie de la seconde catégorie puisque le récit relate les déboires de Thierry, un chômeur de cinquante-et-un ans aux prises avec l'usine à gaz de Pôle Emploi, le cynisme des banquiers et les aléas de la précarité, tout en voulant subvenir aux besoins de ses proches, à savoir son épouse et leur fils adolescent handicapé. Incisif, semi-documentaire, et d'une belle sobriété, le film montre une succession d'entretiens révélant un dilemme moral : faut-il tout accepter au nom de la volonté de décrocher et de garder un emploi à tout prix ? Vincent Lindon incarne cet ancien ouvrier devenu demandeur d'emploi puis vigile et cherchant à garder sa dignité malgré les humiliations et les claques du monde professionnel et financier. Par une succession d'affrontements et de discussions, l'œuvre dévoile l'inhumanité d'une société basée sur l'individualisme et la compétitivité : conseiller en insertion proposant une formation bouchée, chargée de clientèle fronçant les sourcils face à un découvert mais proposant une assurance-vie pour « les êtres que vous aimez », acheteur de mobil-home condescendant donnant des leçons sur les prix de l'immobilier... Le summum est atteint lorsqu'un directeur des ressources humaines est parachuté dans un supermarché pour déculpabiliser les salariés : |
non, leur hiérarchie et eux-mêmes ne sont en rien responsables du suicide d'une ancienne collègue licenciée pour vol de bons d'achat : la dame avait un fils drogué parmi tant de problèmes avérés... La force de ces saynètes percutantes et révélatrices du malaise de Thierry assimile le film à tout un courant du cinéma français, qui va de Ressources humaines de Laurent Cantet à Jamais de la vie de Pierre Jolivet, en passant par Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout. Ce cinéma social proche de la démarche d'un Ken Loach ne saurait être assimilé à un simple tract de « fiction de gauche », comme tente de nous le faire croire une certaine presse allergique à tout message politique sur un grand écran. Car La Loi du marché n'est en rien un film à thèse démonstratif, et s'avère d'une cohérence stylistique dans sa forme épurée faussement naturaliste. On n'est d'ailleurs pas loin d'un certain cinéma des Dardenne, l'obstination de Thierry à s'insérer sur le marché du travail rappelant la détermination d'Emilie Dequenne dans Rosetta ou Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit. Il n'est pas superflu d'ajouter que Vincent Lindon réalise une composition remarquable avec son meilleur rôle depuis Welcome. Jusqu'alors lauréat d'une seule récompense au cours de sa longue carrière (le Prix Jean Gabin en 1989), il a amplement mérité le Prix d'interprétation masculine. Gérard Crespo
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1h33 - France - Scénario : Stéphane BRIZÉ, Olivier GORCE - Interprétation : Vincent LINDON, Yves ORY, Karine DE MIRBECK, Matthieu SCHALLER, Xavier MATHIEU. |