Dégradé |
« Se faire les ongles en pleine guerre, c'est déjà résister. » Bande de Gaza, de nos jours. Le salon de beauté de Christine déborde de clientes : une divorcée amère, une religieuse, une lunatique accroc aux drogues, une jeune fille en passe de se marier... Mais leur jour de détente est interrompu par des coups de feu dans la rue. Une famille mafieuse a volé le lion du zoo de Gaza et le Hamas a décidé qu’il était temps de régler ses comptes. Coincées dans le salon, les femmes commencent à s'affoler... En 2013, Tarzan et Arab Nasser avaient déjà été remarqués pour un court-métrage, Condom Lead, parabole sur la vie sexuelle en période de guerre. Originaires de Gaza, les deux frères jumeaux y ont fait des études d'art, avant de se lancer dans le cinéma. Leur volonté est de concilier 7e art et dénonciation politique. Dégradé est avant tout un attachant huis clos de femmes, qui oscille entre la fantaisie de Women de Cukor, l'humour noir de 8 femmes d'Ozon et la noirceur de Frontière chinoise de Ford. On songe aussi, de par le décor du salon de beauté, à l'ambiance à la fois tendre et sarcastique de Vénus Beauté de Tonie Marshall et surtout Caramel de Nadine Labaki. Si les deux réalisateurs étonnent par leur regard féministe sur ce microcosme, c'est qu'ils ont côtoyé de nombreux visages de femmes depuis leur enfance, à commencer par leur mère, dont la personnalité a inspiré plusieurs protagonistes, et à qui le film est dédié. « Se faire les ongles en pleine guerre, c'est déjà résister », déclarent les réalisateurs. |
Car même si les conversations du salon mettent en exergue le conflit israélo-palestinien ou le rôle du Hamas, ces femmes parlent d'amour, d'infidélité, de projets financiers ou de problèmes domestiques, la proximité des rafales de mitraillettes hors-champ rappelant l'imminence du danger. Mais cet apolitisme est seulement de façade et c'est par leur désir de maintenir un lien communautaire qu'elles témoignent d'un acte d'engagement. Bourgeoise, femme du peuple, future mariée ou belle-mère, chacune d'elle est au cœur d'un désir de vivre, au milieu de haines prêchées de tous bords... La caméra s'attarde alors de l'une à l'autre, tandis que de rares séquences extérieures viennent rappeler les tensions ambiantes. Les frères Nasser sont plutôt incisifs dans leur dénonciation des agissements du Hamas, et il n'est pas étonnant qu'ils soient dorénavant personæ non gratæ dans la bande de Gaza, au vu de leur charge virulente contre les autorités locales. Pour autant, le film laisse un peu sur sa faim. Les dialogues démonstratifs et l'humour qui tombe parfois à plat plombent le récit à plusieurs reprises, et l'on aurait aimer voir développer davantage certains personnages, à l'image de celui incarné par la divine Hiam Abbas, déjà admirée dans La Fiancée syrienne, Free Zone ou Les Citronniers. Mais cette coproduction franco-palestistienne n'en vaut pas moins le détour. Gérard Crespo
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1h24 - Palestine, Qatar, France - Scénario : Arab & Tarzan NASSER - Interprétation : Hiam ABBAS, Maisa ABD ELHADI, Manal AWAD. |