Un violent désir de bonheur |
« Que faire de ma jeunesse alors que le vent souffle sur le monde ancien ? » 1792. Loin de l’épicentre de la Révolution française, le couvent du jeune moine Gabriel est réquisitionné comme caserne par les troupes révolutionnaires. Une cohabitation forcée entre moines et soldats s’ensuit, qui ne laisse pas Gabriel indifférent aux idées nouvelles… Diplômé du département réalisation de la Fémis, Clément Schneider a signé des courts métrages et mène une thèse de recherche universitaire sur les relations entre le cinéma et l’utopie. Cette thématique imprègne son ambitieux premier long métrage, qui a pu voir le jour grâce à la société de production Les Films d’Argile que le jeune cinéaste a lui-même fondée, dans le but d’avoir la marge de manœuvre maximale. Mais de quelle(s) utopie(s) s’agit-il ici ? Celle de croire encore en les vertus d’un art cinématographique exigeant, ne faisant aucune concession au commerce, ou celles qui hantent les personnages, de la communauté monacale ancrée dans ses certitudes religieuses aux jeunes révolutionnaires décidés à abolir les barrières sociales au-delà de l’idéal démocratique ? Ce séduisant mais imparfait premier film ne saurait en tout cas appartenir au genre du cinéma historique, malgré son ancrage précis dans la période révolutionnaire et sa volonté de reconstituer le quotidien d’un petit village de l’arrière-pays niçois (Saorge, partie du comté de Nice jusqu’en 1860, aujourd’hui commune des Alpes-Maritimes). Clément Schneider a ainsi clarifié ses intentions : « Représenter l’Histoire sous la forme d’un film ajoute une couche supplémentaire de fabulation (…) À ce titre, j’ai toujours une certaine méfiance à l’égard des films qui mettent en avant leur réalisme historiciste ; je trouve ça finalement assez vain, et plutôt ennuyeux ». Non seulement le cinéaste aborde l’événement de la Révolution par la marge et la périphérie (contrairement à un Pierre Schoeller dans Un peuple et son roi), mais il privilégie un ton distancié et une ambiance quasi irréelle, qui culmine avec la relation charnelle entre le moine Gabriel et une jeune servante noire, dans des séquences champêtres que n’auraient pas reniées le Renoir de Partie de campagne. |
On ne trouvera dans le métrage ni une charge anticléricale, ni même une confrontation d’idéologies que tout oppose. La jeunesse du moine Gabriel va rencontrer celle des combattants, mais il ne va en résulter ni opposition frontale, ni débats d’idées. L’officier et les militaires du rang sont fascinés par l’autorité, la culture et le courage du jeune religieux, quand ce dernier va prendre acte du tournant politique en cours pour prendre du recul avec son mode de vie, refusant de quitter le monastère et acceptant un compromis : devenir un sergent de l’armée révolutionnaire tout en gardant la main sur l’entretien du monastère, et en assurant toujours le soutien spirituel et matériel du voisinage… Il s’ensuit pour Gabriel un statut étrange, qui le coupe du lien institutionnel et moral avec sa hiérarchie tout en lui conférant une dimension presque christique. Clément Schneider par la primauté accordée aux dialogues et dans le minimalisme de son dispositif ne cache pas ses références, comme Pasolini ou Rohmer. On pourrait aussi ajouter le Bresson de Lancelot du Lac ou Bruno Dumont avec Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc : Un violent désir du bonheur partage avec ce dernier film la caractéristique d’un décalage créé notamment avec une bande musicale anachronique : n’entend-on pas ici des airs de Patti Smith ou Marianne Faithfull ? Reste que l’œuvre est moins percutante que celle des auteurs précités et qu’en voulant se situer ostensiblement dans la marge, Clément Schneider n’en adopte pas moins une proposition de cinéma d’auteur que d’aucuns jugeront stérile et guère novatrice. Mais on lui sera reconnaissant d’avoir donné le rôle du moinillon à Quentin Dolmaire, jeune acteur doué et charismatique qui avait été révélé par Arnaud Desplechin dans Trois souvenirs de ma jeunesse.
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1h15 - France - Scénario : Chloé CHEVALIER, Clément SCHNEIDER - Interprétation : Quentin DOLMAIRE, Grace SERI, Francis LEPLAY, Franc BRUNEAU, Vincent CARDONA, Etienne DUROT. |