Le Monde est à toi
de Romain Gavras
Quinzaine des Réalisateurs






Ma cité va se déplacer

François, petit dealer, a un rêve : devenir le distributeur officiel de Mr Freeze au Maghreb. Cette vie, qu’il convoite tant, vole en éclat quand il apprend que Dany, sa mère, a dépensé toutes ses économies. Poutine, le caïd lunatique de la cité propose à François un plan en Espagne pour se refaire. Mais quand tout son entourage : Lamya son amour de jeunesse, Henri un ancien beau-père à la ramasse tout juste sorti de prison, les deux jeunes Mohamed complotistes et sa mère chef d’un gang de femmes pickpockets, s’en mêle, rien ne va se passer comme prévu… Second long métrage d’un réalisateur surtout actif dans le clip et la pub, Le Monde est à toi tente de greffer les clichés de la « comédie de cité » aux conventions des polars décalés du cinéma indépendant américain (Tarantino, les Coen). En même temps, et la tendance concerne bien des cinéastes français dont Yann Gonzalez (Un couteau dans le cœur), on décèle le désir de réaliser une série B de genre tout en assumant l’étiquette de jeune cinéma d’auteur. Les références de Romain Gavras sont en fait encore plus vastes, comme il le déclare dans le dossier de presse : « L’ambition principale du film était de trouver une tonalité nouvelle, d’assumer pleinement de faire un film pop - Il y avait autrefois une culture du genre qui a donné par exemple Les Tontons flingueurs […] ou encore les films de Bertrand Blier. Cette tonalité que nous recherchions était un peu celle de certains grands films italiens - Le Pigeon ou encore Affreux, sales et méchants ». On pourra dès lors constater maintes ressemblances entre les personnages du film de Gavras et des figures de cinéma.

La petite fille exposée à un monde de brutes fait écho à la Jodie Foster de Taxi Driver ou la Natalie Portman de Léon, quand Vincent Cassel incarne un abruti guère plus fini que Robert De Niro dans Jackie Brown, alors que les relations entre François (Karim Leklou) et sa mère abusive (Isabelle Adjani) rappellent, en mode comique, les liens entre Cody (James Cagney) et Ma Jarrett dans L’Enfer est à lui. Le résultat est un cocktail explosif et insolite mais qui donne vite le mal de tête, pouvant épater par sa virtuosité mais laissant une impression d’inachevé. Pour une scène plutôt réussie (un deal qui tourne mal avec arnaque grosse comme une montagne), il faut se coltiner pas mal de lourdeurs et de vulgarités, ainsi qu’une bande sonore et musicale éprouvante, allant de Michel Sardou à Laurent Voulzy, sans savoir si ce choix relève du premier ou du second degré. Quant à l’intrigue policière, qui oscille entre le Mocky de Noir comme le souvenir (pas le meilleur donc) et l’esprit des OSS 117 des années 60, elle finit vite par lasser. Et certains passages d’humour noir (François Damiens exploitant des réfugiés dans sa villa cossue) pourront aussi faire rire les spectateurs racistes, alors que tout autre était l’intention du cinéaste. C’est ce qui s’appelle manquer sa cible. Dommage pour les scénaristes dont l’inspiration a émergé après plusieurs faits divers de la chronique judiciaire, qu’ils ont voulu mêler à leurs goûts de cinéphiles (et cinéphages). Dommage aussi pour les acteurs qui semblent investis dans le dispositif. L’interprète qui s’en sort le mieux est Oulaya Amamra, révélée il y a deux ans par Divines : remarquable dans un rôle ingrat, elle prouve que son jeu a gagné en rigueur et maturité.

Gérard Crespo



 

 


1h34 - France - Scénario : Romain GAVRAS, Karim BOUKERCHA, Noé DEBRÉ - Interprétation : Vincent CASSEL, Isabelle ADJANI, Karim LEKLOU, François DAMIENS, Oulaya AMAMRA, Norbert FERRER, Sofian KHAMMES, Audrey LANGLE, Philippe KATERINE.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS