Mean Streets
de Martin Scorsese
Quinzaine des Réalisateurs
Séance spéciale





« Si je commets une faute, je veux payer à ma façon. M'imposer ma propre pénitence. Car il n'y a que la souffrance qui soit vraie. »

La sortie de Mean Streets eut lieu dans un contexte d’émergence d’un nouveau cinéma américain des années 70, avec pour chefs de file quatre réalisateurs majeurs. Si Robert Altman revisite la mythologie américaine (Nashville), Francis Ford Coppola dépoussière la saga romanesque et policière (Le Parrain), quand John Cassavetes règne sur l’intimisme psychologique (Une femme sous influence). Le jeune Martin Scorsese avait déjà réalisé deux longs métrages de fiction (I Call First et Bertha Bexar), mais c’est Mean Streets qui est considéré comme le début de sa filmographie d’auteur. Scorsese s’est largement inspiré de son adolescence à Little Italy, quartier communautaire de New York, et aurait pu lui-même devenir l’un des jeunes hommes du récit. La figure centrale est Charlie (Harvey Keitel), aspirant mafieux qui vit sous la protection de son oncle, parrain de la pègre. Charlie aimerait bien devenir restaurateur et est écartelé entre une intense foi religieuse et des agissements peu catholiques. Il a pour ami Johnny Boy (Robert De Niro), instable et imprévisible, déclencheur de bagarres et toujours sur les mauvais coups, qu’il sermonne au quotidien tout en le prenant sous son aile. Il y a aussi Tony (David Proval), le tenancier d’un bistrot, et l’inquiétant Michael (Richard Romanus), à qui Johnny doit de l’argent… Tout Scorsese est déjà là, et d’abord dans la thématique : la description des bas-fonds de New York loin des clichés de carte postale, l’accent sur un antihéros aux dimensions christiques, et tourmenté par la rédemption, ou encore l’intérêt pour des relations de rivalité au sein de la criminalité organisée. Mais loin d’être un brouillon de Taxi Driver ou des Affranchis, Mean Streets porte déjà la griffe d’une mise en scène incisive, comportant plusieurs morceaux de bravoure, à l’image du plan audacieux où Charly erre dans un bar en état d’ébriété.

On peut aussi citer la stupéfiante scène de meurtre dans les toilettes, ou la course-poursuite finale, filmée sans effets ni frime, mais dont le caractère à la fois sobre et efficace témoigne d’un sens aigu de la perfection technique, tout en prenant pour contrainte le manque de moyens. Car le budget réduit de Mean Streets ne place pas le film au même rayon que French Connection de William Friedkin ou Le Canardeur de Michael Cimino, dont les producteurs misaient sur le potentiel commercial. L’œuvre de Scorsese peut être assimilée soit à une série B underground, soit à un authentique film d’auteur, avec trame policière, comme le fut en son temps À bout de souffle : on pourra trouver d’ailleurs des similitudes avec la première œuvre de Godard : même approche documentaire dans les rues d’une grande ville, vision identique d’un romantisme désenchanté pour les scènes intimistes, le couple formé par Charly et Teresa (Amy Robinson) faisant écho aux personnages de Belmondo et Jean Seberg. Mean Streets marque aussi le début de l’utilisation par Scorsese de standards musicaux (Be My baby, Jumpin’ Jack Flash), que l’on retrouvera dans la plupart de ses polars, et dont le principe a été maintes fois copié par d’autres générations de réalisateurs. Le film lança la carrière de ses deux jeunes interprètes. Si Harvey Keitel y tient avec brio le premier rôle, c’est Robert De Niro qui deviendra l’alter ego du cinéaste, de Taxi Driver à Casino, avant de passer le flambeau à Leonardo DiCaprio. Mean Streets fut présenté pour la première fois à la Quinzaine des Réalisateurs en 1974. Vingt-quatre ans plus tard, la Société des Réalisateurs de Films l'a projeté à l’occasion de l’hommage rendu à Martin Scorsese qui s’est vu décerner le Carrosse d’or.

Gérard Crespo



 

 


1973 - 1h50 - États-Unis - Scénario : Martin SCORSESE, Mardik MARTIN - Interprétation : Harvey KEITEL, Robert DE NIRO, David PROVAL, Richard ROMANUS, Cesare DANOVA, David CARRADINE, Robert CARRADINE, Amy ROBINSON, Victor ARGO, Jeannie BELL, Richard ROMANUS.

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