La Tendre indifférence du monde |
« La vraie vie est ailleurs » (Arthur Rimbaud) À la mort de son père, la belle Saltanat est contrainte de quitter la vie tranquille de son petit village pour la grande ville où elle est promise à un riche mariage. Criblée de dettes, sa mère attend son aide en prison. Son ami d’enfance, le loyal Kuandyk, l’accompagne et veille amoureusement. Les espoirs de Saltanat sont vite balayés lorsqu’elle découvre que les hommes de la ville ne tiennent pas parole. Quand Kuandyk essaie d’obtenir de l’argent par d’autres moyens, les problèmes empirent.Devant l’adversité, les deux jeunes gens n’abandonnent pourtant pas... Adilkhan Yerzhanov a étudié à l'Académie nationale des arts où il a obtenu un diplôme de réalisation en cinéma. Il a ensuite réalisé cinq longs métrages, dont The Owners, présenté en séance spéciale à Cannes en 2014, toujours pas sorti en salles. Cela n'a pas été le cas avec La Tendre indifférence du monde qui a les honneurs d'une sortie commerciale quatre mois après sa projection à Un Certain Regard. Et ce n'est que mérité pour le réalisateur, tant son film est un modèle d'épure et de beauté stylistique, au-delà d'une critique féroce de la société kazakhe. Reprenant la doxa de la Nouvelle Vague, Adilkhan Yerzhanov accorde une place minimale au scénario (au demeurant très subtil) et se permet d'insolites ruptures de ton : « J'ai compris quelque chose et depuis je me fâche souvent avec mes producteurs qui croient que mon film ne ressemble pas à mon scénario parce que j’ai voulu les tromper. Mais pas du tout. C’est juste que je considère que le scénario, c’est le mal. C’est une histoire, mais ce n’est pas encore de l’art », a-t-il déclaré dans le dossier de presse. Sur le papier sont greffées une histoire d’amitié amoureuse et un polar sur les réseaux mafieux, l’auteur souhaitant montrer le caractère inéluctable des rapports de domination dans un pays qui n’a quasiment connu que le féodalisme et le socialisme. |
Le verrou de l’économie planifiée ayant sauté, une société gangrénée par la corruption se (re)met en place, jusqu’à infecter les solidarités familiales. Saltanat et Kuandyk incarnent au premier abord une forme de pureté bafouée dans ce monde de brutes, où la femme est quasiment réduite à la prostitution et l’homme obligé de s’imposer dans un monde où règne la loi du plus fort. Le cinéaste parvient à cerner l’humiliation de ses personnages, en les cloîtrant dans des lieux délibérément clos, comme des encadrements de miroirs ou de fenêtres, à manière de tableaux picturaux dans lesquels des artistes reconstituent ou transcendent la réalité. Et ce d’autant plus que Saltanat incarne un idéal de perfection intellectuelle et de sensibilité artistique : parée de sa robe rouge et de son ombrelle orange, cette madone n’a pu s’affirmer dans un univers lucratif et mesquin, et sert de modèle à son chevalier servant à qui elle donne inconsciemment le goût de la littérature et des expositions. Le contraste n’en est que plus flagrant avec la seconde partie du récit qui glisse des influences de Rohmer et Bresson à celles d’un Takeshi Kitano. Le résultat aurait pu être ampoulé et prétentieux : il en ressort au contraire une œuvre d’une réelle grâce, jamais écrasée par ses citations françaises, de Stendhal à Belmondo. Au final, La Tendre indifférence du monde révèle un cinéma kazakh créatif, après la réussite de Ayka de Sergey Dvortsevoy. Gérard Crespo
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1h39 - Kazakhstan, France - Scénario : Roelof Jan MINNEBOO - Interprétation : Dinara BAKTYBAYEVA, Kuandyk DUSSENBAEV. |