Nothingwood
de Sonia Kronlund
Quinzaine des Réalisateurs








Ed Wood à Taboul

À une centaine de kilomètres de Kaboul, Salim Shaheen, l'acteur-réalisateur-producteur le plus populaire et prolifique d’Afghanistan, est venu projeter quelques-uns de ses 110 films et tourner le 111e au passage. Ce voyage dans lequel il a entraîné sa bande de comédiens, tous plus excentriques et incontrôlables les uns que les autres, est l'occasion de faire la connaissance de cet amoureux du cinéma, qui fabrique sans relâche des films de série Z dans un pays en guerre depuis plus de trente ans. Nothingwood livre le récit d’une vie passée à accomplir un rêve d’enfant… Le film est d’abord la rencontre entre deux réalisateurs que tout oppose, à l’exception d’une passion pour le cinéma et l’Afghanistan. Normalienne et agrégée de lettres, documentariste pour Arte et France Culture, un temps rédactrice aux Cahiers du Cinéma, Sonia Kronlund n’a pas suivi le même parcours que Salim Shaheen, figure populaire du cinéma afghan, apôtre d’un cinéma bis composé de films de guerre fauchés, de comédies plus ou moins musicales, avec des dialogues de sitcoms ou de soap operas. Au-delà de ces divergences, Nothingwood (ni Hollywwod, ni Bollywood, précise l’affiche) est un document intéressant sur l’enthousiasme d’un homme d’affaires et artiste, prêt à contourner tous les obstacles d’un pays en guerre depuis les années 80 pour mener à bien ses projets, et donner une part de rêves à une population meurtrie par une situation économique et politique préoccupante.


Nothingwood regorge aussi d’informations et de témoignages insolites : on apprend que Shaheen avait été enrôlé comme chanteur par les troupes soviétiques lors de l’invasion du pays, ou bien encore que les talibans, par principe hostiles au cinéma, n’en organisaient pas moins un trafic pour visionner ses productions. La réalisatrice filme son confrère et ami afghan avec bienveillance et admiration, ce qui ne l’empêche pas de le recadrer quand il ne répond pas avec précision aux questions posées. Car le personnage est aussi un bonimenteur, vendant sa marchandise avec un sens prononcé de la rhétorique, volubile dans ses propos et d’une superficialité qui pourra lasser. « J’ai voulu que le film soit un voyage plus qu’un portrait, un bout d’aventure que le spectateur pourra vivre avec les personnages, à leurs côtés et pas en surplomb », précise Sonia Kronlund. L’originalité de sa démarche et les conditions de tournage forcent le respect, et Nothingwood dévoile un aspect méconnu d’une certaine production cinématographique. Reste qu’après les films sur Ed Wood, Florence Foster Jenkins et quelques autres, cette fascination pour des artistes au talent plus que limité agace quelque peu, quand tant de créateurs inspirés et peu célèbres mériteraient d’attirer l’attention des réalisateurs et distributeurs.

Gérard Crespo



 

 


1h25 - France, Afghanistan - Documentaire - Production : GLORIA FILMS

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