Oh Lucy !
de Atsuko Hirayanagi
Semaine de la Critique











Le voyage de Setsuko

Setsuko est en train de croupir dans son «entre deux âges», jusqu’à ce que des cours d’anglais (et une perruque peroxydée) la transforment en son double, Lucy. Setsuko tombe rapidement amoureuse de son professeur, John, et quand celui-ci disparaît soudainement, elle embarque sa sœur dans une quête qui les mène de Tokyo jusqu’au sud californien. Dans un environnement étranger, de salons de tatouage en motels miteux, liens de familles, comme vies antérieures, sont mis à rude épreuve, tandis que Setsuko s’accroche à sa chimère, Lucy... Le film est une « extension » du court-métrage singapourien éponyme primé à la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2014. Co-production américano-japonaise, Oh Lucy ! le long métrage s’inscrit dans la lignée des œuvres ayant abordé la confrontation entre les cultures occidentale et nippone, du Pont de la rivière Kwaï à The Pillow Book et Lost in Translation en passant par Furyo et Stupeur et tremblements. Si le film d’Atsuko Hirayangi est loin de valoir ces modèles et s’inscrit plutôt dans un registre mineur, il n’en distille pas moins un charme réel, qui tient à son ton décalé, un mélange des genres déconcertant mais audacieux, ainsi qu’un scénario se jouant des clichés linguistiques et sociétaux pour mieux les contourner. La première partie est la plus réussie, avec sa description d’un certain univers aseptisé japonais (le lieu de travail de Setsuko, les quais de métro sur lesquels patientent des usagers dociles et masqués), qui va contraster avec l’excentricité du cours d'« anglais américain ». Atsuko Hirangi part du principe que l’apprentissage d’une langue étrangère passe par l’adoption d’une autre personnalité.

Aussi, Setsuko se conforme sans rechigner à ce jeu de rôle, se laissant griser et duper par les gestes conviviaux de son formateur, au point d’adopter un comportement de midinette qui risque de lui être fatal. Dans les quarante-cinq premières minutes du film, la réalisatrice concocte ainsi des scènes de comédie cocasses, imprégnées de gravité, alors que les scènes dramatiques à venir seront quant à elles nuancées par une tonalité fantaisiste. Ce décalage est une qualité, mais tourne un peu en rond lorsque notre amoureuse décide de s’envoler pour Los Angeles, flanquée d’une sœur avec laquelle elle entretient une relation presque aussi conflictuelle que celle unissant Bette Davis et Joan Crawford dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? Car là, le récit se fait plus pesant et s’enlise dans les travers d’un certain cinéma indépendant américain, essayant d’imiter (en moins bien, forcément) des œuvres signées naguère Susan Seidelman ou Steve Buscemi. Malgré cet essoufflement, Oh Lucy ! reste un attachant portrait de femme en proie à la crise de la cinquantaine, et est bien porté par des acteurs inspirés, à commencer par Shinobu Terajima, l’héroïne du Soldat bleu de Koji Wakamatsu. Elle est bien épaulée par Kôji Yakusho, qui fut l’interprète de L’Anguille de Shohei Imamura, et surtout Josh Hartnett (Pearl Harbor), étonnant dans un registre éloigné de ses habituelles prestations.

Gérard Crespo

 



 

 


1h35 - États-Unis, Japon - Scénario : Atsuko HIRAYANAGI, Boris FRUMIN - Interprétation : Josh HARTNETT, Shinobu TERAJIMA, Kaho MINAMI, Kôji YAKUSHO. Megan MULLALLY, Shioli KUTSUNA.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS