En attendant les hirondelles
de Karim Moussaoui
Sélection officielle
Un Certain Regard






Dans l’ordre des choses

Aujourd’hui, en Algérie. Passé et présent s’entrechoquent dans les vies d’un riche promoteur immobilier, d’un neurologue ambitieux rattrapé par son passé, et d’une jeune femme tiraillée entre la voie de la raison et ses sentiments. Trois histoires qui nous plongent dans l'âme humaine de la société arabe contemporaine… Karim Moussaoui avait réalisé trois courts métrages et un moyen métrage, Les Jours d’avant, remarqué dans plusieurs festivals. Le scénario d’En attendant les hirondelles a été écrit dans le cadre de la résidence de la Cinéfondation du Festival de Cannes et des Ateliers d’Angers. Le cinéma algérien n’est pas prolifique. En dépit de la Palme d’or attribuée en 1975 à Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina et de la réussite d’œuvres souvent produites dans le cadre de coproductions (100 % Arabica de Mahmoud Zemmouri), c’est un cinéma qui reste peu connu et dont la diffusion est restreinte. Aussi faut-il saluer la bonne tenue de ce premier long métrage qui touche à une thématique à la fois intemporelle et d’actualité : la difficulté pour un pays (et pas seulement l’Algérie) à concilier tradition et modernité. Les personnages du récit sont issus de plusieurs couches de la société algérienne. « Ce sont des personnages ordinaires qui vivent une vie ordinaire. Les événements auxquels ils sont confrontés sont imaginaires mais vraisemblables, inspirés par mon observation personnelle », a déclaré le cinéaste. Mourad, membre de la bourgeoisie éclairée, est un entrepreneur qui regrette la rigidité des rouages économiques, et s’émeut du manque de libertés publiques. Les deux femmes qu’ils côtoie (son ex et sa compagne actuelle) incarnent une certaine idée de l’émancipation féminine, certes toute relative. Membre de classe moyenne, la jeune Aïcha peine à satisfaire son idéal d’amour, et renonce à son idylle avec Djalil pour suivre la voie de la raison que lui guide son père.

Quant à Dahman, c’est un brillant intellectuel humaniste mais arriviste, dont les retrouvailles avec une mère célibataire en situation précaire vont raviver des fêlures enfouies. La force du scénario est de refuser le manichéisme, chaque personnage étant présenté sous un regard à la fois sec et bienveillant, avec en leitmotiv ces petites (ou grandes) lâchetés de la vie quotidienne qui peuvent trahir les mieux intentionnés : lâcheté de Mourad et de Dahman face à la violence, qui leur fait adopter un comportement de non-assistance à personne en danger pour l’un, et de complicité de viol pour l’autre ; lâcheté des deux amoureux qui capitulent devant l’ordre social. Le découpage du film est habile, avec trois segments narratifs autonomes, les transitions étant assurées par de brèves scènes : Djalil est en effet l’employé de Mourad, et Dahman, en panne sur la route, est secouru par la famille d’Aïcha. Ni œuvre chorale, ni « film à sketches », ni superposition de moyens métrages, En attendant l’hirondelle opte pour une narration linéaire sur trois niveaux. Si le dispositif n’est pas révolutionnaire, le film est attachant et visuellement séduisant, avec une belle harmonie dans l’utilisation des différents espaces, de la ville aux paysages reculés de campagne, des discothèques d’hôtel aux fermes abandonnées. On appréciera également de troublantes digressions vers la comédie musicale, qui tranchent avec le caractère réaliste du récit. On regrettera toutefois un rythme qui peine à s’imposer dans le premier segment ainsi que la superficialité avec laquelle sont évoqués certains problèmes, comme le malaise étudiant ou l’insécurité alimentaire. Mais sans doute ces thèmes étaient-ils secondaires dans le projet global de l’écriture du film.

Gérard Crespo


1h55 - France, Allemagne, Algérie - Scénario : Karim MOUSSAOUI, Maud AMELINE - Interprétation : Mohamed DJOURI, Aure ATIKA, Mehdi RAMDANI, Hania AMAR, Chawki AMARI, Hassan KACHACH, Nadia KACI, Samir EL HAKIM.

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