Belle de jour
de Luis Buñuel
Sélection officielle
Cannes Classics






L’emploi du temps

Une présentation de STUDIOCANAL. Numérisation à partir du négatif original et restauration 4K réalisées par le laboratoire Hiventy pour STUDIOCANAL avec le soutien du CNC, de la Cinémathèque française, du Fonds Culturel Franco-Américain et de la Maison YVES SAINT LAURENT. Distribution salles : Carlotta.

Épouse d’un jeune interne des hôpitaux, Pierre, Séverine n’a jamais trouvé un véritable plaisir auprès de lui. Un des amis du ménage, play-boy amateur de call-girls, lui glisse un jour l’adresse d’une maison clandestine. Troublée, Séverine ne résiste pas à l’envie de s’y rendre et ne tarde pas à devenir la troisième pensionnaire de Mme Anaïs. Elle y est appelée Belle de jour car ses visites surviennent chaque après-midi de deux à cinq heures.
Seconde collaboration de Luis Buñuel avec le scénariste Jean-Claude Carrière, avec qui il avait travaillé pour Le Journal d’une femme de chambre (1964), le film est au départ une commande proposée par les frères Hakim, producteurs, séduits par le potentiel érotique d’un roman de Joseph Kessel, qu’ils souhaitaient voir adapté par le sulfureux auteur de Viridiana. On se doute que Buñuel a vite pris ses distances avec ce qu’il estimait être un roman de gare, et qu’il a greffé l’histoire de cette bourgeoise tentée par la prostitution à son univers. Belle de jour, le film, comprend alors plusieurs dimensions. Le cadre réaliste présente le quotidien de Séverine (Catherine Deneuve) dans une station de ski, sur un cours de tennis ou dans son appartement cossu, la présence de l’inquiétant Husson (Michel Piccoli) étant la jonction avec la seconde dimension. Cet aspect, présent dans le roman, et qui aurait pu faire l’objet d’une illustration par des cinéastes tels Lelouch ou Vadim, est traité de façon froide et clinique, Buñuel trouvant factice ce réalisme de Boulevard. La seconde dimension apparaît dès la première séquence, qui voit Séverine et Pierre (Jean Sorel) échanger des propos amoureux de collection Harlequin, avant que le jeune médecin ne décide d’humilier son épouse, attachée à un arbre, flagellée puis violentée par deux cochers. Ce contraste, au sein d’une même scène, marque l’influence du surréalisme dont Buñuel était imprégné depuis Un chien andalou. On entre alors dans la seconde dimension du film, qui relate l’imaginaire fantasmatique d’une jeune femme tentée par le masochisme. Buñuel et Carrière ont déclaré avoir enquêté auprès de psychiatres et de femmes sur la notion de fantasme au féminin, afin de traiter précisément cette partie irréelle de façon documentée.

Toute la suite de Belle de jour oscille entre ces deux tendances, le réalisme irréel et l’irréel réaliste, et c’est la force de Buñuel de ne jamais perdre le spectateur dans ces labyrinthes mentaux, la dimension onirique étant combinée au récit des péripéties de Séverine. L’accueil dans la maison close de Mme Anaïs (formidable Geneviève Page) peut dès lors être interprété aussi bien comme un élément de la vie de Séverine que comme une longue songerie, quand des digressions insolites sont manifestement de l’unique ordre du rêve, à l’instar de la séquence où Séverine satisfait les fantasmes nécrophiles d’un châtelain (Georges Marchal), avant d’être jetée sous la pluie par le majordome (Bernard Musson). Et encore, le doute peut s’implanter... D’une perfection plastique (superbe photo de Sacha Vierny), Belle de jour lie la forme et le fond et présente toutes les constantes de l’univers de Buñuel, dont un anticléricalisme assumé et une critique acerbe de ce charme discret de la bourgeoisie, le tout avec un humour noir qui n’appartient qu’au maître, comme l’atteste la séquence (audacieuse pour l’époque) d’un client de bordel (François Maistre) entrant dans un jeu de rapport de domination/soumission avec une prostituée blasée mais compréhensive (Françoise Fabian). Mais jamais le film ne tombe dans la grivoiserie et le voyeurisme. La nudité même des actrices est proscrite, Deneuve ne dévoilant que son dos ou étant masquée par un voile. Buñuel reste un cinéaste de la suggestion et du mystère, à l’image du contenu de la boîte détenue par le client asiatique (Iska Khan) et qui suscite le dégoût de la fille de joie (Maria Latour). Les interprètes sont parfaits, la méthode de Buñuel consistant à leur donner des indications précises sur leurs déplacements et gestuelles sans proposer de pistes quant aux motivations de leurs personnages. De Francis Blanche en horrible libidineux à Pierre Clémenti en voyou romantique, en passant par Muni en servante dévouée, tous s’intègrent au petit théâtre buñuelien. Ils entourent une Catherine Deneuve troublante, jouant de son image tout en dévoilant ses zones d’ombre, et qui après Demy et Polanski rencontrait le troisième grand cinéaste de sa jeune carrière.

Gérard Crespo



 

 


1967 - 1h47 - France, Espagne - Scénario : Luis BUÑUEL, Jean-Claude CARRIÈRE, d'après le roman de Joseph Kessel - Interprétation : Catherine DENEUVE, Jean SOREL, Michel PICCOLI, Geneviève PAGE, Pierre CLÉMENTI, Macha MÉRIL, Francisco RABAL, Francis BLANCHE, Georges MARCHAL, Maria LATOUR, MUNI, François MAISTRE, Iska KHAN, Bernard MUSSON.

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