La Marseillaise
de Jean Renoir
Sélection officielle
Cannes Classics





« C'est la lutte finale... »

De 1789 à 1792, à Paris, dans le midi de la France, à Coblence et Valmy, trois années de Révolution... Coproduit par la CGT, La Marseillaise est considérée comme une commande mineure dans la carrière de Jean Renoir. Elle se situe dans sa filmographie entre La Grande illusion et La Bête humaine, à savoir deux sommets. Prolongeant la démarche collective de son documentaire La Vie est à nous (1936), ode au Front Populaire, Renoir prend le prétexte de la Révolution française pour évoquer les préoccupations de son époque, et c'est en apparence seulement que le film a les attributs du genre historique à costumes. Ainsi, lorsque le maire d'un village (Jean Aquistapace) refuse la condamnation d'un paysan affamé (Edouard Delmont), on peut y voir une allusion à l'alliance des classes moyennes et populaires dans la victoire du Front. Et quand Renoir filme un affrontement entre monarchistes et patriotes sur les Champs-Élysées, c'est pour implicitement évoquer la violence des ligues d’extrême droite fascistes et royalistes qui se battaient avec les militants de gauche dans les années 30. Au-delà de ces correspondances, le récit est agréable dans son agencement de petites saynètes anecdotiques, où les parcours individuels croisent la grande Histoire, et Renoir se montre ici le précurseur de ce que l'on ne nommait pas encore le film choral. On y suit la destinée de plusieurs groupes de personnages. Il s'agit d'abord de Marseillais patriotes, qui amènent la faconde du cinéma de Pagnol, et composés notamment des pittoresques et héroïques Bomier (Edmond Ardisson), Arnaud (Andrex) et Javel (Paul Dullac). La sympathie de Renoir pour ces modestes combattants de la liberté est manifeste, de même que celle qu'il éprouve pour leurs pairs parisiens, gens du peuple touchants incarnés par Carette, Modot, Jenny Hélia ou Nadia Sibirskaïa.

Par contraste, des aristocrates sont traités sans égards, nobles nantis et hautains (Maurice Escande en seigneur du village), mais certaines figures historiques ont droit à plus d'indulgence, comme Monsieur de Saint Laurent (Aimé Clariond), dont la prise de conscience incarne la noblesse éclairée. Quant à Louis XVI (Pierre Renoir, frère du cinéaste), il se complaît dans la nourriture grasse et l'incompétence politique, acceptant de diffuser le manifeste de Brunswick pour ne pas heurter la susceptibilité d'une Marie-Antoinette soucieuse de rétablir son rang (Lise Delamare). Car « chacun a ses raisons », maxime que Renoir portera au centre de La Règle du jeu, et qui vaut également ici pour certains caractères secondaires, à l'instar du procureur Roederer (Louis Jouvet), protégeant le roi avec bienveillance jusqu'à l'Assemblée puis garantissant au peuple que le tyran aura un procès.

Ce petit théâtre des apparences et des illusions, qui mêle comédie et tragédie, est typique de la démarche de Renoir, et évite l'emphase qu'un Robert Enrico n'évitera pas dans le film « objectif » commémoratif La Révolution française (1989). Et l'on saluera les morceaux de bravoure (la prise des Tuileries), qui témoignent d'une qualité technique certaine. Pour autant, La Marseillaise n'est pas, loin s'en faut, le Potemkine de Renoir, et l'on ne sacrifiera pas à la politique des auteurs. Dans un autre registre, et sur un sujet proche, il est permis de préférer les fantaisies historiques de Sacha Guitry ou la subtilité narrative de Scola dans La Nuit de Varennes...

Gérard Crespo


 

 


1938 - 2h15 - France - Scénario : Jean RENOIR, Carl KOCH, Nina MARTEL-DREYFUS - Interprétation : Pierre RENOIR, Lise DELAMARE, Louis JOUVET, Nadia SIBIRSKAÏA, Jenny HÉLIA, Léon LARIVE, ANDREX, Edmond ARDISSON, Paul DULLAC, Aimé CLARIOND, Maurice ESCANDE, Jean AQUISTAPACE, JAQUE-CATELAIN, Edouard DELMONT, Gaston MODOT, Julien CARETTE.

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