Hôtel du Nord
de Marcel Carné
Sélection officielle
Cannes Classics
Cinéma de la Plage







« Ah vous pouvez crâner : pour une belle prise c’est une belle prise ! »

Un hôtel modeste au bord du canal Saint-Martin abrite une clientèle bigarrée. Pierre et Renée, un couple d’amoureux, décident d’en finir avec la vie. Ce qui va s’avérer plus difficile que prévu. Un autre couple, M. Edmond, mystérieux homme, et Raymonde, une prostituée, vont se mêler à l’histoire des amoureux désespérés.

« Atmosphère, atmosphère... Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». L’une des répliques les plus célèbres du cinéma français est due à la verve de Henri Jeanson, dialoguiste inspiré qui a ouvert à Arletty les portes du vedettariat... Réalisé la même année que Le Quai des brumes, Hôtel du Nord marque une pause dans la collaboration entre Carné et Prévert, puisque le poète n’a pas participé au scénario, adaptation d’un roman d’Eugène Dabit, en collaboration avec Jean Aurenche. On trouve pourtant l’influence de sa thématique qui a certainement imprégné Marcel Carné, maître d’œuvre de ce bijou du réalisme poétique : les amants désespérés et désunis, la fatalité de passions impossibles et non partagées, le cadre étouffant d’un décor qui va happer les protagonistes. Le quartier du canal Saint-Martin succède ici au Havre et s’avèrera au centre d’une unité de lieu, malgré une brève échappée à Marseille à la fin du récit. Un pessimisme ambiant hante le film, typique du cinéma français des dernières années d’avant-guerre. La noirceur de cette histoire de suicide raté et de règlements de compte entre truands est ici tempérée par un humour irrésistible, le personnage de Mme Raymonde détendant l’atmosphère par ses réparties. « Ah vous pouvez crâner : pour une belle prise c’est une belle prise », lance-t-elle aux policiers l’arrêtant pour défaut de papiers alors qu’un meurtre vient d’être commis à l’hôtel. D’autres personnages pittoresques complètent la galerie de seconds rôles familiers du cinéma de l’époque : Bernard Blier en brave garçon cocufié par une Paulette Dubost s’encanaillant avec un Andrex peu catholique, Jane Marken et André Brunot en hôteliers bienveillants...

C’est sans doute cette légèreté de digressions qui a longtemps contribué au fait que les historiens ont sous-estimé le film, et ce d’autant plus que l’intrigue principale entre les deux amants suicidaires a pu paraître (et semble encore) un peu pâle.

Pourtant, cette alternance de comédie et de drame est rétrospectivement ce qui fait la saveur d'Hôtel du Nord. On notera même deux allusions audacieuses. La première est politique : le gamin adopté par les hôteliers est un orphelin de la guerre d’Espagne, traumatisé par les bombardements de Barcelone ; la seconde est liée au personnage de François Périer, dont l’homosexualité assumée est quasiment explicite, caractérisation exceptionnelle eu égard à la censure et aux mœurs de l’époque. Hôtel du Nord frappe aussi par sa beauté esthétique, le travail en studio étant combiné à quelques prises de vue réelles de quartier de Paris. On appréciera le travail de décorateur d’Alexandre Trauner, ainsi que la musique de Maurice Jaubert, les deux artistes étant de fidèles collaborateurs de Carné. Les travellings le long du canal ou les gros plans sur le beau visage romantique d’Annabella s’insèrent avec bonheur dans un découpage technique supervisé par Carné. Le film fut un triomphe personnel pour Louis Jouvet et Arletty, qui volèrent la vedette au couple de stars Annabella-Jean-Pierre Aumont, autour desquels le film était monté. En souteneur à double identité qui tente de trouver une troisième vie par un amour soudain, Louis Jouvet incarne un personnage à la fois terrifiant et pathétique. Arletty déploie sa gouaille de titi parisien maniant l’argot, définissant les contours d’un personnage comique qui sera le sien, et anticipant par son rôle d’amoureuse déçue l’évolution dramatique qui culminera dans Les Visiteurs du soir et Les Enfants du paradis. Pour les amateurs de pèlerinage cinématographique et gastronomique, signalons que le lieu de l’Hôtel du Nord abrite aujourd’hui un délicieux restaurant orné de photos de tournage de ce film d’atmosphères...

Le film est projeté à Cannes Classics 2015 dans une restauration présentée par MK2 avec le soutien du CNC, avec une image 2K (d’après un scan 4K du négatif image nitrate) faite par Digimage Classics.

Gérard Crespo

En collaboration avec le site aVoir-aLire



 

 


1938 - 1h35 - France - Scénario : Jean AURENCHE, Henri JEANSON, d'après le roman d'Eugène Dabit - Interprétation : ANNABELLA, Jean-Pierre AUMONT, Louis JOUVET, ARLETTY, Bernard BLIER, Paulette DUBOST, ANDREX, André BRUNOT, Marcel ANDRÉ, Jacques LOUVIGNY, Jane MARKEN, François PÉRIER, René BERGERON.

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