La Dame de Shanghai
The Lady from Shanghai
de Orson Welles
Sélection officielle
Cannes Classics


Sortie en salle : 17 juin 2015




« I don't want to die ! »

Adapté de If I Die Before I Wake, un roman de l'obscur Sherwood King que Welles avouait ne pas avoir lu, La Dame de Shanghai est une production de Columbia Pictures montée autour de Rita Hayworth, star de la firme, et par ailleurs épouse de Welles dont elle devait divorcer après le tournage. Le scénario a été adapté par Welles lui-même, conformément à sa vision du cinéma depuis Citizen Kane, et ce en dépit des normes de l'industrie hollywoodienne qui prônait une stricte division des tâches dans la chaîne de production et de réalisation. Le récit est conforme aux standards du film noir de la décennie, à savoir qu'il relate l'histoire d'un homme ordinaire aux prises avec un gang véreux et une femme fatale. Michael O'Hara (Orson Welles) fait la connaissance de la charmante Elsa Bannister (Rita Hayworth), qu'il sauve peu après d'une tentative d'agression. Celle-ci est l'épouse d'Arthur Bannister (Everett Sloane), un riche avocat corrompu, avec lequel elle a séjourné à Shanghai. Elsa fait embaucher Michael sur le yacht de Bannister. O'Hara devient très vite amoureux de la jeune femme, sous le regard indifférent de l'avocat. À l'occasion d'une escale, George Grisby (Glenn Anders), associé de Bannister, propose à Michael un étrange marché... La suite du synopsis est presque aussi complexe que celle du Grand sommeil, au grand dam de Harry Cohn, le producteur, qui flaira, avec raison, l'échec commercial du film. Mais l'essentiel de La Dame de Shanghai est ailleurs. Sous l'apparence d'un polar doublé de drame sentimental, l'œuvre semble un songe onirique, éclairé par la belle photographie de Charles Lawton Jr. et Rudolph Maté, et prétexte à des expérimentations techniques et esthétiques. On a surtout en mémoire la scène finale se déroulant dans une salle de théâtre de Chinatown, à San Francisco.

Une fusillade s'y déroule, ce qui occasionne des plans où s'effondrent à plusieurs reprises des images de personnages avec bris de glace, jusqu'à la mort réelle de certains des protagonistes. Cette virtuosité plastique était déjà en filigrane dans des séquences antérieures d'un baroque assumé, à l'instar de celle du baiser dans un musée océanographique ou du plongeon d'Elsa dans la mer des Antilles. Le mystère qui entoure les séquences hispaniques anticipent l'univers de La Soif du mal, que Welles tournera douze ans plus tard. Le réalisateur semble aussi s'amuser avec les métaphores, Bannister et sa bande pouvant symboliser l'arrogance et la cupidité des producteurs de Hollywood. La Dame de Shanghai est enfin un film emblématique du cinéma de la démystification puisque Welles a remodelé l'héroïne de Gilda. D'une rousse pulpeuse il fit une blonde vénéneuse et distante, loin de l'image explicitement sensuelle de l'actrice qui faisait fantasmer les G.I. pendant la Seconde Guerre mondiale. Hayworth n'en trouva pas moins un rôle essentiel dans sa filmographie et offrit sans doute sa meilleure composition dramatique. La suite de sa carrière sera pourtant marquée par un déclin inexorable, sa trajectoire étant similaire à celle de Martine Carol après Lola Montès. La Dame de Shanghai a été présentée à Cannes Classics dans une copie restaurée permise par le travail de Colorworks à Sony Pictures. Le négatif d'origine en nitrate a été scanné en 4K chez Deluxe à Hollywood avant restauration numérique, un travail complété chez MTI Film à Los Angeles. La restauration sonore a été l'œuvre de Chase Audio.

Gérard Crespo


 

 


1948 - 1h27 - États-Unis - Scénario : Orson WELLES, d'après le roman "If I Die Before I Wake" de Sherwood King - Interprétation : Rita HAYWORTH, Orson WELLES, Everett SLOANE, Glenn ANDERS, Ted de CORSIA.

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