Carol
de Todd Haynes
Sélection officielle
En Compétition

Prix d'interprétation féminine (Rooney Mara)
Queer Palm


Sortie en salle : 13 janvier 2016




Coup de foudre à Manhattan

Révélé avec Poison (1991), Todd Haynes n'a réalisé que six longs métrages en près d'un quart de siècle, dont Velvet Goldmine (1998), film musical inspiré de Iggy Pop et Lou Reed, et I'm Not There. (2007), dans lequel six interprètes différents (dont Cate Blanchett) jouaient le rôle de Bob Dylan. La musique semble exercer un rôle récurrent dans son œuvre, par sa thématique ou son utilisation dans la bande sonore, Carol étant, comme Loin du paradis (2002), un somptueux mélodrame, au sens littéral. On pourrait d'ailleurs penser que ces deux films forment un diptyque, et pas seulement parce qu'à la superbe partition d'Elmer Bernstein succède celle, dans la même tonalité, de Carter Burwell, habituel collaborateur des frères Coen. Carol, adapté d'un roman que Patricia Highsmith avait écrit sous un pseudonyme en 1952, a pour autre point commun avec Loin du paradis d'être un beau portrait de femmes(s). Comme Julianne Moore, Cate Blanchett incarne une bourgeoise à la fois simple et sophistiquée, exaltée et pondérée, en quête du bonheur mais enfermée dans une société étriquée qui lui refuse toute entorse aux règles de la bienséance. Si Cathy Whitalker était délaissée par un mari gay et s'amourachait de son jardinier noir, Carol Aird doit quant à elle affirmer sa propre homosexualité et franchir d'autres barrières, puisque Therese Belivet (Rooney Mara), dont elle est éprise, est plus jeune et issue d'un milieu modeste (elle est vendeuse et aspire à devenir photographe). Carol comme Loin du paradis se situe dans les années 50, quand la révolution sexuelle était encore impensable et lorsque les préjugés raciaux, sexistes et homophobes prédominaient la société, aux États-Unis comme ailleurs.

À cet égard, le film semble presque anachronique dans sa volonté de greffer un script contemporain dans l'Amérique pudibonde de cette période, tant on peine à imaginer que la passion entre Carol et Therese aurait été menée à terme, et à la vue de tous. Loin d'ôter sa crédibilité au scénario, ce parti pris le renforce en créant un vertigineux décalage. C'est que Carol est, dernière similitude avec Loin du paradis, un subtil exercice de style se voulant un hommage aux maîtres du genre que furent, à Hollywood, Douglas Sirk (Le Secret magnifique) ou Vincente Minnelli (Comme un torrent). Mais Todd Haynes refuse le film qui se la jouerait « à la manière de », tout en assumant sa touche forcément rétro et sa fausse désuétude. Il évite soigneusement de tomber dans les travers de l'académisme romanesque noyé sous les costumes repassés (de l'indispensable Sandy Powell), la photo léchée (signée Edward Lachman), ou la théâtralité d'actrices oscarisées (ou oscarisables). Car Carol est d'une élégance et d'une grâce qui n'appartiennent qu'au réalisateur, en osmose avec ses actrices. Sarah Paulson est parfaite dans le rôle ingrat de la confidente en souffrance, dans un emploi qu'auraient pu tenir naguère Barbara Bel Geddes ou Agnes Moorehead. Rooney Mara est d'une délicatesse rare qui a attiré l'attention du Jury cannois au point de lui attribuer, à elle seule, le Prix d'interprétation féminine. Un réel manque de tact pour Cate Blanchett, dont la présence à l'écran est plus importante, et qui est peut-être la meilleure actrice de sa génération : elle irradie Carol pendant les deux heures de projection.

Gérard Crespo

 



 

 


1h58 - États-Unis, Royaume-Uni - Scénario : Phyllis NAGY, d'après le roman de Patricia Highsmith - Interprétation : Cate BLANCHETT, Rooney MARA, Sarah PAULSON, Kyle CHANDLER, John MAGARO, Jake LACY, Carrie BROWNSTEIN, Cory Michael SMITH.

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