Amnesia
de Barbet Schroeder
Sélection ofiicielle
Séance spéciale



Sortie en salle : 19 août 2015




Retour à Ibiza

Quarante-six ans après More, son premier long métrage, Barbet Schroeder est retourné dans sa villa familiale d'Ibiza pour filmer un autre récit intimiste. Alors que More comportait une première partie franco-allemande, Amnesia respecte l'unité de lieu, la maison surplombant la mer étant, avec quelques échappées en ville, l'unique cadre de l'action dramatique. Nous y suivons les souvenirs de Martha (Marthe Keller), une vieille femme marquée par des événements de sa vie ayant eu lieu dix ans plus tôt, en 1990. Cloîtrée dans cette demeure depuis les années 50, Martha y avait fait la connaissance de Jo (Max Riemelt), un jeune Allemand devenu son voisin et qui comptait s'installer à Ibiza pour mener une activité de DJ à l'Amnesia, temple de la musique électronique. Martha qui est elle-même allemande le cache au jeune homme, et s'exprime avec lui en anglais. L'existence de cette exilée semble cacher un lourd secret. C'est que Martha a fui son pays en 1936, et n'a jamais voulu se résoudre à y remettre les pieds. Par rébellion envers les atrocités commises par le régime nazi, elle a décidé de mettre une croix sur tout ce qui rappelle l'Allemagne, à l'exception de la musique et la philosophie. Son amitié avec Max va remettre en cause ses certitudes... Alors que More cernait l'air du temps soixante-huitard et la contre-culture hippie, Amnesia déploie plusieurs niveaux temporels. Le flash-back de dix années qui ouvre le récit fait basculer l'action un an après la chute du mur de Berlin, et le personnage principal se réfère à la Seconde Guerre mondiale. On songe à En haut des marches (1983), Martha étant hantée par le souvenir comme l'était Danielle Darrieux dans ce film de Paul Vecchiali se déroulant dans les années 60, avec pour toile de fond le souvenir de l'Occupation.

Pour ce qui est du thème de la culpabilité allemande, Barbet Schroeder prolonge la réflexion menée naguère par Fassbinder (Le Mariage de Maria Braun) ou Margarethe von Trotta (Les Années de plomb), et il semblerait que le projet du film ait mûri dans l'esprit du cinéaste depuis plusieurs années. Le dispositif, plus théâtral que le style contemplatif de More, propose de longs dialogues subtils bien que parfois trop explicatifs et didactiques. Mais Amnesia est un beau portrait de femme, fidèle à un choix moral, et dont les failles révèlent la sensibilité et l'intelligence. C'est aussi une délicate histoire d'amour platonique, d'une tonalité toute rohmérienne : « Nous avons déjà été tout ce que nous avions besoin d'être l’un pour l'autre », déclarera la femme mélancolique à son jeune soupirant. La mise en scène de Schroeder est classique et limpide, loin des fulgurances de La Vierge des tueurs, l'un des sommets de sa filmographie. Mais cette simplicité n'en met que davantage en relief les tourments des protagonistes. Il faut aussi souligner l'utilisation pertinente des paysages naturels, Martha et Jo étant presque piégés par la majesté du site et la fausse sensation de protection d'une nature paisible, comme l'étaient Estelle et Stefan dans More. Les acteurs sont admirables. Max Riemel (La Vague) révèle un vrai tempérament dramatique, et la seconde partie du récit doit beaucoup à Corinna Kirchhoff (grand nom de la scène) et Bruno Ganz, émouvant dans une séquence clef de l'intrigue. Mais c'est Marthe Keller qui irradie le plus le film et trouve son meilleur rôle de maturité. L'actrice est aussi sublime que l'était Faye Dunaway, dans Barfly, réalisé en 1987 par le cinéaste. More et Amnesia ont été présentés à l'occasion d'une soirée spéciale du Festival de Cannes en hommage à Barbet Schroeder. Les deux œuvres sortent simultanément sur les écrans français en cet été 2015.

Gérard Crespo




 

 


1h36 - France, Suisse - Scénario : Barbet SCHROEDER - Interprétation : Marthe KELLER, Max RIEMELT, Bruno GANZ, Corinna KIRCHHOFF, Rick ZINGALE.

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