Saint Laurent |
Du côté de chez Swann Si les Saint Laurent de Jalil Lespert et de Bertrand Bonello se percutent, le premier ayant gagné le second de vitesse, les deux œuvres proposent deux regards totalement différents sur l’hôte de la rue Spontini. Dans ce faux biopic, exploitant la décennie 1967-1976, Bonello place l’homme et le génie Yves Saint Laurent dans l’ombre de Proust certes, mais surtout face à ses démons. Foisonnant, baroque, déstructuré comme un objet de haute couture, le film impose ses fulgurances au monde de la création, du merchandising, du sexe, de la drogue. Au cours de ces deux heures trente d’hypnose – un peu trop long donc pour ce type de traitement – le prince de l’élégance évolue de l’ombre à la lumière pour atteindre les ténèbres, peuplées de crotales et autres anacondas. L’intérêt documentaire du film n’est pas le moindre, qui invite à investir les coulisses d’une grande maison de couture, sorte de bagne chic où le maître inspire tout autant de terreur que d’admiration. Mais le génie des lieux, qui s’assimile lui-même à un dieu vivant, est bien loin de ces considérations triviales : les guerres peuvent dévaster la planète, les révolutions éclater, de saison en saison, les défilés et les artifices de la mode must go on. |
Le split screen évoque parfaitement l’étanchéité de deux mondes qui ne se croisent jamais. L’enfermement du créateur dans sa tour d’ivoire le déconnecte définitivement des réalités de la planète des humains. Mais évidemment pas des hommes. Deux d’entre eux marquent profondément un itinéraire de plus en plus vain, chaotique et halluciné, entre chasses nocturnes, soirées très parisiennes et interlopes au Sept de la rue Saint-Anne, prises d’amphétamines (le Captagon est ici délivré par le bon docteur Patrick Pelloux !), séjours décadents dans la villa de Marrakech. Johnny fait moi mal y interprète-t-il. C’est Jacques de Basher, amant que YSL partage avec Karl Lagerfeld, qui se charge du job à coup d’acide à haute dose. Tandis que Pierre Bergé ne supporte plus d’assister à l’autodestruction de celui qu’il appelle Kikou, son grand amour tout autant que de son fonds de commerce. Le troisième « homme » de sa vie, c’est Moujik, bouledogue français, ou plutôt, après que le premier du nom meure d’une overdose agitée, les Moujik que le grand Saint Laurent va collectionner jusqu’à ses derniers jours. Gaspard Ulliel s’empare du mythe et du personnage jusque dans la voix et l’ensemble de l’interprétation est de très haut niveau. Marie-Jo Astic
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2h15 - France - Scénario : Thomas BIDEGAIN, Bertrand BONELLO - Interprétation : Gaspard ULLIEL, Jérémie RENIER, Léa SEYDOUX, Louis GARREL, Olga GURYLENKO, Amira CASAR, Willem DAFOE, Helmut BERGER, Jasmine TRINCA, Valeria BRUNI TEDESCHI, Dominique SANDA. |