Les Croix de bois
de Raymond Bernard
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 12 novembre 2014




Les sentiers de l'enfer

Dans la ferveur et l’exaltation du début de la guerre, Demachy (Pierre Blanchar), encore étudiant, répond à l’appel sous les drapeaux. Il rencontre Sulphart, Bréval, Bouffioux et les autres, autrefois ouvrier, boulanger, cuisinier, désormais unis sous le nom de soldat. Ce classique du film de guerre est, avec Les Misérables (1934), la meilleure œuvre de Raymond Bernard, artisan inspiré qui avait débuté avec le cinéma muet. Le film est l’adaptation du roman éponyme du journaliste et écrivain Roland Dargelès, qui s’inspirait lui-même de ses notes personnelles pendant la Première Guerre mondiale. Ce récit du parcours mental d’un soldat idéaliste est dans le prolongement thématique des deux modèles hollywoodiens que furent La Grande parade (K. Vidor, 1925) et surtout À l’ouest rien de nouveau (L. Milestone, 1930). Il s’agissait de montrer l’horreur de la guerre du regard des premiers concernés, à savoir les combattants eux-mêmes. Pour ancrer son film dans un cadre réaliste, Raymond Bernard s’est entouré d’acteurs et de figurants ayant été soldats pendant la Grande Guerre, refusant les jeunes recrues proposées par l’Armée, le réalisateur les trouvant inexpérimentées et peu crédibles. Ce fut par ailleurs un tournage difficile, sur les lieux des véritables combats, et il arrivait que des cadavres de soldats et des obus non éclatés remontent à la surface.

Les Croix de bois a un scénario audacieux. Pas de véritable narration à proprement parler, mais une chronique des tranchées, avec ses moments d’angoisse et d’horreur, mais aussi de camaraderie et de repos du guerrier. Une lettre de fiancée ou d’épouse, une rare et précieuse permission prodiguent un éphémère réconfort, quand les croix de bois sur des tombeaux à ciel ouvert rappellent l’imminence de la mort. Certaines scènes entre les soldats anticipent La Grande illusion (J. Renoir, 1937), notamment de par la solidarité au-delà des différences d’âge et de classe. C’est perceptible dans les rapports entre Demarchy, destiné à une carrière de juriste, et le caporal Breval (Charles Vanel), pâtissier dans le civil. Quant à l’idéalisme du premier, il dévie de plus en plus vers une perte de repères qui le conduit à un sentiment de déchirement intérieur.

Point de contestation pour autant de la part de Demarchy et ses pairs. Il n’est guère fait allusion aux mutineries, et Les Croix de bois ne se veut pas explicitement polémique. Le film est donc moins proche de la critique sociale des Sentiers de la gloire (S. Kubrick, 1957) que de l’humanisme désenchanté de Johnny s'en va-t-en guerre (D. Trumbo, 1971). Le film ne fut d’ailleurs l’objet d’aucune censure et a même pu être perçu comme une œuvre patriotique sur le sacrifice des soldats. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que la date de sa reprise en salle ait été le 12 novembre 2014, le lendemain du centenaire de l’armistice, choix qui révèle le caractère consensuel d’un film commémoratif.

Techniquement, l’œuvre est superbe et certaines scènes de combat feraient rougir le Spielberg de Il faut sauver le soldat Ryan (1998), de par leur authenticité et la rigueur du montage. Et Les Croix de bois recèle bien des trouvailles, à l’image de ces surimpressions sur les champs de bataille. Seule une séquence de recueillement dans une église, Ave Maria en fond sonore, a légèrement vieilli. Pierre Blanchar, torturé, expressif, accéda avec ce film au vedettariat. Il faut redécouvrir cet acteur aujourd’hui oublié et qui fut important. À ses côtés, la sobriété de Charles Vanel et le professionnalisme de Gabriel Gabrio constituent un autre atout de la distribution. Mais il faudrait citer tous les interprètes, de l’illuminé Antonin Artaud au gouailleur Raymond Aimos, en passant par Paul Azaïs, René Bergeron ou Jean Galland. Les Croix de bois a été restauré à la demande de Pathé qui poursuit un travail d’archivage des films du patrimoine, dans l’optique de conservation et de redécouverte des classiques d’hier.

La restauration par le laboratoire L’Immagine Ritrovata de Bologne a été effectuée en 4K, exigeant 600 heures de travail consacrées à la réparation des éléments visuels et 120 heures à la restauration des éléments sonores.

Gérard Crespo



 

 


1931 - 1h55 - France - Scénario : André LANG, Raymond BERNARD, d'après le roman de Roland Dorgelès - Interprétation : Pierre BLANCHAR, Charles VANEL, Gabriel GABRIO, Raymond AIMOS, Antonin ARTAUD, Paul AZAÏS, René BERGERON, Raymond CORDY, Marcel DELAITRE, Jean GALLAND, Pierre LABRY, Jean-François MARTIAL

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