Le Tombeur de ces dames |
Le pensionnat en folie Le Tombeur de ces dames se situe dans la décennie de cinéma la plus brillante de Jerry Lewis, qui culminera avec Docteur Jerry et Mister Love, son chef-d'œuvre (1964). Après des duos avec Dean Martin, Lewis devient son propre metteur en scène dans des films qui le propulsent grande vedette de la Paramount. Le récit commence par un slow burn, procédé remontant au burlesque muet et consistant à présenter un gag qui entraîne une série de catastrophes en cascade. Dès ce début, Lewis montre aussi son goût pour le travestissement : sa silhouette de vieille dame précède celle d'une mère éplorée au mariage de son fils, puis d'autres personnages. Mais la figure centrale est bien Herbert H. Heerbert, qui renonce à aimer les femmes le jour où il surprend sa fiancée au bras d'un autre mais qui accepte malgré lui l'emploi d'homme à tout faire dans un foyer de jeunes filles destinées au métier d'artiste. Ce synopsis est vraiment secondaire, tant le film ne repose pas sur le déroulement d'une intrigue mais sur une succession d'effets visuels et de numéros artistiques. L'acteur y peaufine son personnage de garçon maladroit et grimaçant, dont la bienveillance est toujours trahie par une malchance et une série de circonstances explosives. Gros succès commercial, le film a longtemps été incompris de la critique, surtout américaine, qui n'y voyait qu'un enchaînement de pitreries d'un humour douteux. À sa sortie, Libération déplorait un « gâtisme précoce qui doit donner bonne conscience au plus attardé des Américains qui trouve […] plus bête que lui ». |
Cette lecture au premier degré de la narration ne rend pas justice à un film d'une vraie richesse visuelle, et d'une drôlerie beaucoup plus fine qu'elle n'en a l'air. L'énormité de certaines situations n'est que le prolongement d'une tradition qui remonte au slapstick et autres excès d'un cinéma comique illustré naguère par Mack Sennett ou Hal Roach et dont on trouvera bien plus tard un écho chez Mel Brooks, par ailleurs collaborateur au scénario du Tombeur de ces dames. Les passages avec le « bébé » (tigre ?) ou des offreuses d'emploi présumées nymphomanes convoquent les références de L'impossible Monsieur. Bébé ou de l'univers tant loufoque que surréaliste de Hellzapoppin. On songe même au ton de comédie poétique et aux procédés de Jacques Tati : quand Helen, la cantatrice, répond aux questions du journaliste de télévision (subtile mise en abyme), Jerry est dans le même plan, obligeant le spectateur à se concentrer sur deux actions en même temps. Le pensionnat est construit dans un décor sans murs, la caméra passant de chambre en chambre ou présentant des plans d'ensemble nous contraignant à observer les personnages de plusieurs pièces à la fois. De Tati, on glisse ici au Hitchcock de Fenêtre sur cour. Lewis transcende ces influences et se révèle plasticien hors-pair, usant d'un jeu de couleurs qui culmine avec les passages musicaux. Signalons que l'acteur et réalisateur, s'il est présent dans presque tous les plans, n'oublie pas de mettre en valeur ses partenaires : la palme revient ici à la désopilante Kathleen Freeman, actrice de second rôle moins connue qu'une Thelma Ritter ou une Agnes Moorehead et dont le talent comique est impayable ! Gérard Crespo
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1h45 - États-Unis - 1961 - Scénario : Jerry LEWIS, Bill RICHMOND, Mel BROOKS - Interprétation : Jerry LEWIS, Helen TRAUBEL, Kathlleen FREEMAN, Pal STANLEY, George RAFT, Marty INGELS; Sylvia LEWIS. |