Les Oiseaux |
Vos gueules, les mouettes ! Après le succès international de Psychose, Alfred Hitchcock s'accorda plus de moyens financiers pour adapter une nouvelle de Daphné du Maurier, dont l'argument est une mystérieuse attaque d'oiseaux sur une petite ville. Chagriné par le fait que Grace Kelly ait abandonné le cinéma, le réalisateur lui a toujours cherché un substitut. Après Vera Miles, Kim Novak et Janet Leigh, c'est au tour de l'inconnue Tippi Hedren d'incarner la blonde hitchcockienne tant victime que manipulatrice. Plus que la simple « invention de ce farceur de Hitchcock » (Jean Tulard), l'actrice, beauté froide d'une élégance aristocratique, s'adapte avec aisance à son univers, en dépit d'un manque de métier évident. Hitch lui fait incarner la posée et superficielle Melanie Daniels, éprise de Mitch Brenner, un séduisant avocat rencontré chez un marchand d'oiseaux à San Francisco. Par jeu, elle achète les inséparables qu'il compte offrir à sa petite sœur et prend la route pour Bodega Bay. Comme dans Psychose, le début du film suit l'escapade d'une femme décidée à prendre le volant sous une impulsion amoureuse. D'autres similitudes apparaissent, tel le jeu de fausse piste de la première demi-heure, qui voit le cinéaste nous conter un marivaudage sentimental incrusté dans une chronique familiale, encore que des indices du drame horrifique apparaissent, Melanie étant attaquée par une mouette dès son arrivée. Dans cette longue (mais captivante) exposition, il ne manque ni le trait d'humour caractéristique de la Hitchcock's touch (le mouvement des inséparables à chaque virage), ni l'indispensable mère abusive, certes moins terrifiante que Norma Bates : Jessica Tandy (future Miss Daisy avec chauffeur), incarne ici le premier obstacle aux amours de Melanie et Mitch, par la méfiance que lui inspire cette blonde intrigante au chignon trop soigné, une méfiance qu'éprouveront d'autres habitants envers celle qui semble déclencher les drames depuis son arrivée dans la communauté... |
Si La Mort aux trousses était l'invention du film d'action contemporain et Psychose celle du film d'horreur, Les Oiseaux établit la synthèse entre le fantastique suggestif à la Jacques Tourneur et le catastrophe moderne. Le réalisateur refuse toute explication scientifique des événements étranges qui se déroulent sous nos yeux, expédiant en quelques minutes l'argumentation d'une ornithologue (d'ailleurs dans le déni des faits), juste avant l'explosive séquence d'une station-service incendiée. À ce titre, l'œuvre influencera davantage le De Palma de Carrie que certains Spider-Man et autres blockbusters actuels voulant à tout prix trouver une origine rationnelle à des mutations et désastres naturels et humains. La réussite des Oiseaux réside également dans cette perfection esthétique et technique dévoilée depuis la période anglaise du cinéaste, et qui culmina à Hollywood. On sait que Hitchcock aimait travailler par storyboard pour effectuer le découpage de ses scènes : l'attente de Melanie à la sortie de l'école, ne réalisant pas tout de suite l'irruption d'oiseaux, est ici un modèle de suspense et de rigueur, instants davantage effrayants que l'attaque en elle-même. D'autres morceaux de bravoure suivront, tel ce plan montrant Melanie et d'autres personnages horrifiés par l'agression d'un pompiste et l'essence qui se répand, la jeune femme étant toutefois la seule à anticiper l'ampleur des dégâts. La remarque d'une dame hystérique en gros plan, accusant Melanie d'être le Diable et d'occasionner le malheur dans la ville, permet alors d'envisager, un temps, une nouvelle lecture du scénario. Modèle de narration et de mise en scène, Les Oiseaux sera le dernier triomphe de Hitchcock, auquel on peut aussi associer ses fidèles collaborateurs, le chef-opérateur Robert Burks et le monteur George Tomasini. Gérard Crespo
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2h - États-Unis - 1963 - Scénario : Evan Hunter, d'après la nouvelle de Daphne du Maurier - Interprétation : Tippi HEDREN, Rod TAYLOR, Jessica TANDY, Suzanne PLESHETTE, Veronica CARTWRIGHT, Ethel GRIFFIES, |