« Boîte à lettres »
À Bombay, les « dabbawallahs » rassemblent plus de 5000 livreurs de lunchboxes à travers la ville, permettant à la population active de consommer des plats chauds faits maison au bureau. Depuis 120 ans, ces « coursiers », illettrés pour la majorité, parcourent la mégapole en train, bus, moto ou vélo et mènent à bon port plus de 200 000 repas quotidiennement !
L’Université de Harward s’est penchée très sérieusement sur ce système de livraison, à base de codes de couleurs, et a conclu que seulement une lunchbox sur un million n’est pas livrée à la bonne adresse…
Ritesh Batra, pour son premier long métrage, a décidé de bâtir son récit sur cette exception.
Ila (interprétée par la magnifique actrice de théâtre Nimrat Kaur que l’on a pu voir en 2012 à cette même Semaine de la Critique dans Peddlers) tente de pimenter un peu sa vie conjugale déjà un peu ternie par le quotidien en améliorant l’ordinaire des lunchboxes qu’elle prépare à son mari. Mais ce n’est pas son époux qui profitera des saveurs épicées des mets préparés avec amour. La lunchbox va atterrir sur le bureau de Saajan (Irrfan Khan, acteur extrêmement célèbre en Inde, vu dans Slumdog Millionnaire ou Life of Pi), fonctionnaire près de la retraite, présenté comme aigri et peu amène, pour le moins peu coopératif avec Shaikh, jeune employé qu’il doit former avant son départ.
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« Un mauvais train peut arriver à la bonne gare »… Grâce à cette erreur d’ « aiguillage », va naître une relation épistolaire entre Ila et Saajan, que rien n’aurait pu faire se rencontrer.
Ila vit dans le monde clos du mariage (même « Auntie » qui l’aide pour ses recettes restera toujours hors-champ) ; Saajan, lui, vit dans le passé avec une conscience destructrice de la vieillesse qui le gagne (magnifique et terrible scène dans sa salle de bain où il se rend compte qu’il sent le vieux…). Quant à Shaikh qui donne à son personnage secondaire les respirations nécessaires au film et souvent un contrepoint narratif, il est orphelin ; il s’est fait tout seul ; pas si naïf qu’il en donne l’air…
Le talent de Ritesh Batra, en dehors de la formidable idée et une très bonne direction d’acteurs, est de rester très pudique dans l’exploration de ces destins de vie. Il use de métaphores qui n’empèsent pas le récit mais au contraire l’aère avec ces nombreuses scènes de transports en commun, où les personnages se trouvent brinqueballés tels des lunchboxes. Film généreux, dans le fond comme dans la forme, souvent drôle, excitant violemment les papilles… Lunchbox a obtenu le Coup de Cœur à Cannes lors de la 31e édition de Cinécole.
Jean Gouny
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