Lucky Luciano |
Le mariage du polar et du cinéma politique Le film a longtemps été invisible et reste à ce titre méconnu, à l'image de Francesco Rosi dont l'œuvre immense a une place encore modeste dans les annales du cinéma. On peut d'ailleurs regretter que cette restauration s'accompagne d'une seule sortie en DVD et non en salle, contrairement à la plupart des œuvres présentées à Cannes Classics. Il y a toujours eu un malentendu Rosi. On le limite trop à un cinéaste engagé ayant dénoncé les méfaits de la société italienne des années 70, dans des dossiers se voulant ouvertement politiques, à une époque où les films de Costa-Gavras (Z, L'Aveu), faisaient un carton. Rosi dépasse pourtant la « fiction de gauche » commerciale, destinée à brasser le plus grand nombre, pour proposer une véritable démarche artistique. Il n'est pas surprenant qu'il se soit intéressé à la personnalité de Lucky Luciano, lui qui dressa un portrait magistral de Salvatore Giuliano (1962). Lucky Luciano a été condamné à trente ans de prison pour avoir organisé le massacre de la Saint-Valentin en 1931. Gracié en 1945, ce chef de la mafia quitte les États-Unis et s'installe en Italie. Dès cet instant, le trafic d'héroïne entre l'Amérique et l'Italie augmente. Personne n'a pu prouver sa culpabilité... Comme à son habitude, Rosi adopte une structure éclatée, télescopant les époques et les lieux géographiques, passant des années 30 aux années 60, de Chicago à Naples, ou de Paris à Vintimille avec un art du montage consommé. |
Politique, le film l'est par sa description d'une connivence entre les milieux criminels et les hautes sphères du pouvoir, laissant hors-champ les zones d'ombre et de mystère. La sortie de Lucky Luciano était contemporaine de celle des deux Parrain de Coppola et il serait intéressant de comparer les deux styles : le film de Rosi opte moins pour le lyrisme et l'épopée romanesque et policière que pour le puzzle narratif permettant de cerner la personnalité de l'une des figures les plus connues du monde criminel. Chez Rosi, l'ambiance kafkaïenne des complots et des meurtres crée davantage un sentiment d'étrangeté, mais l'efficacité de certaines séquences n'a rien à envier aux grands maîtres américains. Le meurtre de Rod Steiger est à ce titre un morceau de bravoure d'une sobriété extrême, dont on retrouvera un écho avec la scène de l'assassinat de Charles Vanel au début de Cadavres exquis (1976). Lucky Luciano est aussi l'occasion de (re)découvrir l'immense Gian Maria Volonté, qui s'identifie presque totalement à cette célébrité obscure, détentrice d'un pouvoir mais consciente de ne pas posséder l'antique et légitime autorité. Le film a été présenté à Cannes dans une copie restaurée financée par la Film Foundation et la Hollywood Foreign Press Association et réalisée par la cinémathèque de Bologne au laboratoire L'immagine Ritrovata, en collaboration avec Cristaldi Film et Paramount Pictures. Gérard Crespo
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1h55 - Italie, États-Unis, France - 1973 - Scénario : Tonino GUERRA, Franceso ROSI, Jerome CHODOROV, Lino IANNUZZI - Interprétation : Gian Maria VOLONTÉ, Vincent GARDENIA, Jacques MONOD, Karin PETERSEN, Edmond O'BRIEN, Rod STEIGER. |