La Grande bouffe |
Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé Gros scandale au Festival de Cannes 1973, puis triomphe commercial en salles, La Grande bouffe est le chef-d'œuvre de Marco Ferreri. Coproduction franco-italienne, écrite avec Rafael Azcona et savoureusement dialoguée par Francis Blanche (un contre-emploi pour cet artiste associé au théâtre et au cinéma de boulevard), le film se veut une dénonciation de la société de consommation. Quatre amis quadragénaires se donnent rendez-vous dans la résidence de campagne de l'un deux afin d'organiser un week-end festif orgiaque, leur but étant un suicide collectif par indigestion. Il y a là Philippe (Noiret), juge d'instruction : il n'oublie pas avant de quitter son domicile de laisser une procuration bancaire à sa vieille nourrice qui le harcèle sur les plans affectif et charnel. Marcello (Mastroianni) est pilote de ligne, Michel (Piccoli) animateur pour une station de radio, et enfin Ugo (Tognazzi), restaurateur : ce sera lui le chef cuisinier de leur virée conviviale et tragique. Ils sont vite rejoints par trois prostituées et une institutrice sympathique, Andréa (Ferréol). Civet de lapin, pizza provençale, charlotte au chocolat et bien d'autres plats se succèdent pendant deux jours, agrémentés de pauses sexuelles. Si les trois call-girls se lassent vite de ce festival culinaire et finissent par décamper après le premier soir, Andréa prend part au jeu, passe du lit de Philippe au bras de Marcello avec une générosité confondante, de formes comme de sentiments, et accepte de mouler ses fesses pour une tarte qui portera son prénom. Elle se sent surtout investie d'une mission presque divine : accompagner les quatre hommes dans leur chemin vers la mort... |
La Grande bouffe passe très vite de la farce rabelaisienne à la tragédie. Le ton mélancolique, le pessimisme ambiant et la noirceur des situations, au-delà de la force corrosive, sont les traits d'un récit qui rapproche Ferreri du Blier des années 70, celui des Valseuses et de Buffet froid. L'absurde des situations et le jusqu'au-boutisme du cinéaste en font une œuvre culte, bien au-delà des polémiques suscitées. Les plans extérieurs de la villa, dans un décor dépouillé ou enneigé, ou les cadavres de Mastroianni et Piccoli installés dans le congélateur et semblant épier les derniers protagonistes dans un plan-séquence terrifiant sont peut-être les passages les plus fulgurants. Une certaine presse (de droite surtout) éreinta La Grande bouffe. De Jean Cau à André Brincourt, on dénonça une provocation blasphématoire : « Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation » (François Chalais, Europe 1). Le fait que l'honorable société Fauchon, mentionnée au générique, ait participé à l'élaboration de plats raffinés destinés à être ingurgités puis vomis, en avait certainement choqué plus d'un. Les passions se sont aujourd'hui apaisées et le film est devenu un classique du cinéma, encore que des tenants du diététiquement correct ou du développement durable risquent toujours de prendre le récit au premier degré ! La présentation de la copie restaurée au Festival de Cannes 2013 a permis à Michel Piccoli et Andréa Ferréol, deux des survivants de l'équipe du film, de recevoir une large ovation... Gérard Crespo
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2h05 - France, Italie - 1973 - Scénario : Rafael AZCONA, Marco FERRERI, Francis BLANCHE - Interprétation : Marcello MASTROIANNI, Ugo TOGNAZZI, Michel PICCOLI, Philippe NOIRET, Andréa FERRÉOL, Monique CHAUMETTE, Bernard MENEZ, Florence GIORGETTI. |