Miss Anna et son chauffeur

Ce film subtil et attachant est le premier long métrage de Flora Lau, déjà auteur d'un documentaire sur la vie quotidienne de la main-d'œuvre étrangère de Hong Kong : « J'étais intriguée par cette situation qui les incite à abandonner leur famille pour tenir des emplois de domestiques ». Cette expérience de tournage lui a donné envie d'écrire le scénario de Bends, initialement conçu dans le cadre d'un laboratoire cinématographique d'Amsterdam, qui a obtenu une aide d'un fonds de soutien financier de Hong Kong et séduit le chef-opétateur Christopher Doyle au point que ce dernier en a été le directeur de la photographie. En dépit de la similitude de l'argument (le rapprochement progressif entre une bourgeoise et son chauffeur issu du peuple), Bends n'a aucun rapport avec Driving Miss Daisy, la pièce comme le film académique à Oscar réalisé par Bruce Beresford. Anna, la quarantaine, vit dans un univers cossu, épouse d'un richissime homme d'affaires trompant son ennui dans la collection d'antiquités, un shopping rituel et des déjeuners chics avec ses amies, l'addition étant toujours pour elle. Le jour où sa carte bancaire est refusée chez son coiffeur et où son mari ne donne plus signe de vie, Anna comprend qu'un tournant de son existence est en train d'avoir lieu....

Le montage alterné permet de suivre en parallèle les déboires de Hui, son chauffeur, qui se démène pour obtenir que son épouse puisse accoucher à Hong Kong : il n'a pas les moyens de payer l'amende "pour deuxième enfant" de la règlementation chinoise, alors même qu'Anna et lui traversent la frontière quotidiennement sans encombre...

Le récit est moins celui d'une complicité que d'une compréhension tacite et implicite entre deux personnages unis par l'urgence à trouver de l'argent et dépossédés progressivement de leur dignité. D'ailleurs, Anna et Hui communiquent peu, si ce n'est dans le cadre des contraintes du lien qui les unit. Il ne réalise pas qu'il risque de perdre son emploi en raison du départ de l'homme qui le rémunère. Elle se soucie à peine d'une future paternité qui ne lui inspire qu'une banale formule de félicitation au moment où elle est informée de la situation de son chauffeur. Flora Lau manie l'art des non-dits et des ellipses, évitant les pièges tant du plaidoyer social que du mélodrame bavard, sans lorgner pour autant sur l'autisme et la pose d'un certain cinéma contemporain. Bends est d'une légèreté et d'une grâce mélancolique, qui dans ses plus belles séquences trouve la force de In the Mood for Love. Le film n'échappe cependant pas à une certaine joliesse et une sagesse formelle pour une première œuvre. Flora Lau s'impose cependant comme une figure prometteuse du cinéma asiatique.

Gérard Crespo