De rouille et d'os
de Jacques Audiard
Sélection officielle
En compétition



Sortie en salle : 17 mai 2012




Si tu veux qu’on continue faut faire les choses bien, faut qu’on ait des manières

En souvenir de Mortelle randonnée, pour lequel il fut son scénariste en 1983, Jacques Audiard dédie son film à Claude Miller. Entré à Cannes via la Semaine de la critique avec Regarde les hommes tomber en 1994, son scénario est récompensé deux ans plus tard pour Un héros très discret et ce n’est qu’en 2009, après une si longue absence, que Un prophète remporte le grand prix du jury à Cannes. Tandis que le palmarès de cette édition 2012 zappe purement et simplement De rouille et d’os, la mise en scène irréprochable (trop ?) du très grand cinéaste et la performance remarquable de son interprète féminine.

Un fils de 5 ans sur les bras, Sam, seul, fauché, débarque à Antibes chez sa sœur Louise, ronchonne au grand cœur (Céline Sallette, impeccable), trouve un boulot de videur à la boîte L’Annex. À la faveur d’une bagarre, il rencontre Stéphanie, cliente aguicheuse et éméchée, la protège, la ramène chez elle et lui laisse son téléphone, au cas où. La pluie battante laisse place au plein soleil du Marineland où Stéphanie est dresseuse d’orques, énormes masses surgissant du bassin au gré des numéros orchestrés par la jeune femme. Un saut trop haut et c’est l’accident qui mutile Stéphanie de ses deux jambes (vive le numérique !) et noircit copieusement son futur.

Détresse, angoisse, lassitude, Stéphanie se résout à appeler Ali avec lequel elle entame une liaison. Amour ou simple hygiène corporelle ? Ce n’est pas le genre de question que se pose Ali, viril, boxeur, tout d’un bloc, quasi bestial, il n’a peur de rien, marche aux sensations bien plus qu’aux sentiments. Des questions, il trouve que Stéphanie en pose beaucoup trop, les « manières » c’est pas son truc : « Tu me fais chier là oh ! ».

Face à l’intensité du jeu de Matthias Schoenaerts, celui de Marion Cotillard, parfaite de bout en bout, atteint des sommets le temps d’un regard, d’une expression volée par la caméra lorsque Ali lui propose le plus naturellement d’aller se baigner, d’exhiber ses moignons : « Tu t’rends compte de ce que tu dis là ? » Pour cela comme pour tout, Ali est « opé », dispo. « Moi je suis quoi pour toi ? » demande-t-elle encore. Ali n’en sait rien, il sait juste qu’il est là et que pour le moment c’est bien pour tous les deux. Quant à la vie, puisqu’il faut âprement la gagner, il la boxe à mains nues, quitte à s’abîmer dans des combats destructeurs magouillés par son pote Martial (Bouli Lanners, que l’on découvre encore sous une autre facette).

Continuellement retenue, l’émotion éclate curieusement lors de la scène la plus prévisible : quand, pour sauver Sam, Ali cogne furieusement la glace et la brise, se brise aussi la carapace qui sépare l’animal de l’homme.

Indéniablement, Jacques Audiard sait raconter une histoire et capter l’intérêt du spectateur. Inspiré d’une nouvelle de Craig Davidson, Un goût de rouille et d’os, ce sublime mélodrame, romanesque et distancié, totalement assumé, reprend en les complexifiant les thèmes récurrents de son auteur : rapports de force, relation filiale, endurcissement, quête de salut.

Marie-Jo Astic

 

 

 


1h55 - France - Scénario : Jacques AUDIARD, Thomas BIDEGAIN, d'après le récit de Craig Davidson - Interprétation : Marion COTILLARD, Matthias SCHOENAERTS, Bouli LANNERS, Céline SALLETTE, Corinne MASIERO.

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