Rengaine
de Rachid Djaïdani
Quinzaine des réalisateurs
Prix FIPRESCI
palme

Sortie en salle : 14 novembre 2012




Ta gueule de steack grillé, ils en veulent pas

Sous-titré Un conte de Rachid Djaidani, Rengaine met en scène les amours de Sabrina, algérienne musulmane, et de Dorcy, africain chrétien, dans le Paris des communautés, lesquelles, au-delà des fustigations qu’elles subissent de la part de la collectivité blanche, véhiculent un racisme actif entre elles-mêmes. Un mariage entre une Beurette et un Noir, c’est un tabou, et le ou les « Renoir » qui pourraient en résulter n’ont pas droit de cité.

Neuf ans de travail, 200 heures de rushes pour une œuvre radicale d’1 heure 15, où Rachid Djaidani boxe le cœur et le corps, filme comme si c’était la première fois, et c’est le cas, mais aussi comme si c’était la dernière.

La presse a souvent titré Sabrina et les quarante frères, sauf que la quarantième c’est elle, à en croire son égrenage, comme on le ferait des perles d’un tabish, des prénoms de ses frangins, alors que Dorcy la demande en mariage.

Rengaine est énergique, tendre, acide et tchatcheur, qui entre préjugés, carcan familial, machisme et racisme, instille, sans toutefois en prendre le parti, l’humour à la faveur des castings (« Je bosse dans la recherche d’emploi ») et bouts d’essai (« Prends un siège Cinna… ») ou sondages que Dorcy multiplie pour faire éclore sa carrière d’artiste, au besoin acteur ou chanteur, et tout simplement pour gagner sa vie.


Mais entre démo hilarante de lap dance que Dorcy offre à Sabrina en guise de cadeau de mariage, et éprouvante scène gore – où il est agressé, séquestré, électrocuté, étouffé… avant d’apprendre un peu vénère que son calvaire avait été tourné sans cassette – scène fort malicieusement intercalée dans le montage, puisque Slimane, aîné de la fratrie, vient de se procurer un flingue, Slimane veille. Et, comme une rengaine, ressasse à ses frères l’impossibilité absolue qu’un jour la petite sœur puisse épouser un Noir. Slimane, clandestinement amoureux d’une Juive, Nina, qu’il veut épouser…

Entre déboires professionnels, poids intercommunautaires et racisme de sa propre mère, Dorcy passe par quelques instants de découragement. Et pleure. Par compassion sur son sort ou pour s’entraîner à faire l’acteur ? En jouant ainsi sur un cyclique va-et-vient entre fiction et réalité, le réalisateur donne des respirations au vitriol qu’il jette sur les déchirures identitaires. Et sur les autres tabous, dont l’homophobie : « Je suis mort il y a trente ans », assène à Slimane son frère, blindé face à ses menaces.

De jolies scènes, dont celle du piano à quatre mains, viennent nous rappeler que Rengaine est un film d’amour, mais « serti de barbelés » dixit son réalisateur. Film libre aussi, qui exhibe ouvertement les non-dits de la bienpensance de gauche. Film de rues, celles du Paris populaire que la caméra de Rachid Djaidani balaie de ses travellings. Film où de « vrais gens » sont filmés au plus près pour éviter toute interférence que pourraient avoir les images de fond sur le dialogue ou l’action.

Du Péril jeune de 1994 à ce redoutable péril noir, on retrouve, aux côtés de Sabrina Hamida, de sa fraîcheur et de son relativisme salutaire, Stéphane Soo Mongo, mais aussi Sliman Dazi, consacré entre le temps d’un tournage étiré en longueur, par Un prophète en 2009.

Marie-Jo Astic


1h15 - France - Scénario : Rachid DJAIDANI - Interprétation : Slimane DAZI, Stéphane SOO MONGO, Sabrina HAMIDA.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS