La Nuit d'en face |
Le temps retrouvé... ou pas Présenté à tort comme le « testament de Ruiz », sous prétexte que l'artiste nous a quittés l'an dernier, La nuit d'en face ne mérite pas tout à fait ce statut, le cinéaste ayant disparu soudainement avec plusieurs projets en vue... Simplement, on y retrouve, en mode certes mineur, plusieurs de ses thèmes et obsessions. Coproduction franco-chilienne, l'œuvre mêle les deux langues et les deux cultures que Ruiz a côtoyées tout au long de sa carrière. Adaptée d'un roman, sa songerie convoque le personnage de Jean Giono, auteur volontairement exilé dans un Chili des années 50, et devenu enseignant en littérature française et espagnole devant un parterre d'étudiants âgés de 20 à 70 ans... Cette cocasserie quasiment surréaliste est combinée avec le développement du personnage de Celso, l'un de ses élèves âgés, que l'on retrouve à travers plusieurs périodes de sa vie. Enfant, Celso est un garçon sensible et mélomane capable de communiquer avec des artistes de l'au-delà dont Beethoven, invité dans une salle de cinéma pour découvrir un film de pirates et en même temps l'essence du 7e art. Celso est par ailleurs un vieillard hanté par la mort...
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On l'aura compris : tout Ruiz est dans cet ultime opus, chronique intemporelle mêlant présent et passé, gravité et fantaisie, imaginaire et réalisme, poésie et digressions politiques, littérature et cinéma. Cette mise en abyme habile fait écho à tout un pan de sa filmographie : les énigmes ordonnées par la destinée sont le prolongement de celles déployées dans Les trois couronnes du matelot (1983), les existences parallèles sont identiques à Trois vies et une seule mort (1996), les voyages dans le temps répondent à l'univers proustien recréé dans Le temps retrouvé (1999), le syncrétisme socioculturel et la tentative de renouveler le film en costumes dans une adaptation littéraire sont dans la cohérence de Mystères de Lisbonne, son chef-d'œuvre crépusculaire sorti en 2010. On aurait aimé cependant retrouver les fulgurances stylistiques et la magie de ces titres, La nuit d'en face relevant davantage de l'autocitation et de l'essai filmique. C'est ce qui nous fait penser que Ruiz avait certainement d'autres contes et récits en tête, pour une splendeur à venir que le temps ne lui a pas permis de mener à terme. Gérard Crespo |
1h50 - Chili, France - Scénario : Raoul RUIZ, d'après le roman de Hernan Del Solar - Interprétation : Christian VADIM, Valentina VARGAS, Sergio HERNANDEZ. |