Les Chevaux de Dieu |
Elle pensera quoi Ghislaine quand elle saura que je suis mort en martyr ? Librement inspiré des attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casa et du roman de Mahi Binebine, Étoiles de Sidi Moumen, le récit s’ancre dans le bidonville de Casablanca et s’attache au destin de deux frères, Hamid et Yachine. Ils ont 13 et 10 ans en juillet 1994 et partagent leur temps entre les rixes contre des bandes rivales et leur « travail » de récupérateurs à la décharge de déchets. Entourée d’un mari dépressif et d’un autre fils déficient, leur mère Yemma, déplorant l’absence de l’aîné enrôlé dans l’armée, tente de faire vivre sa tribu et de tenir les deux garçons le plus éloignés possible de la délinquance et de la violence qui règnent au quotidien. Lors d’une fête de mariage, Nabil, ami de Yachine, se fait violer. Cinq ans plus tard, les mêmes bagarres au foot rassemblent les trois amis, tandis que, autour de leurs habitations précaires, se construisent des HLM, où habite Ghislaine dont Yachine est amoureux. La misère est toujours là, l’agressivité, la corruption et les embrouilles qui emmènent Hamid en prison. Les images passant en boucle sur les écrans de télévision, commentées par des « Ils les ont eus ! » éloquents nous amène à 2011 et son 11-Septembre, date à laquelle est libéré Hamid, changé, barbu, « raisonnable » aux yeux de Yemma. Lorsque Yachine et Nabil, tous deux employés dans le garage d’un type abject se mettent dans de graves ennuis, Hamid et ses nouveaux amis interviennent et s’occupent de tout. Ces nouveaux protecteurs vont pas à pas les attirer vers l’autre voie, la seule possible, qui en fera des Chevaux de Dieu, des serviteurs d’Allah en lutte contre le « complot impérialo-sioniste ». Au fil d’un apprentissage implacable et de règles de vie draconiennes, ils apprendront à aimer la mort et à sacrifier le seul bien qui leur restait, leur liberté. « Durcis ton cœur » intime Hamid à Yachine, martyr en herbe, lui promettant des milliers de Ghislaine au paradis. |
Cinq « volontaires » sont ainsi désignés pour un attentat suicide au restaurant La Casa de España le 9 mai 2003, reporté au 15 en raison de la naissance de l’héritier de Mohammed VI. Mourir pour des idées… Rythmée de scènes chocs, la montée vers l’intégrisme total, l’idôlatrie, l’obscurantisme fait froid dans le dos. À l’heure de vérité, le plus courageux ne sera pas forcément celui que l’on pouvait croire et quelques regards affolés ouvrent, trop furtivement peut-être, la brèche du doute. Violent, radical, le film se révèle un précieux constat documentaire des terres sur lesquels se recrutent les futurs kamikazes d’Allah. Sans mettre en cause l’intention de Nabil Ayouch, on peut cependant déplorer un manque de prise de position franche dans le face à face qu’il installe entre le désespoir d’un quotidien de misère, de violence, de crasse, de non-futur et l’univers quasi idyllique de l’islamisme radical grâce auquel sont gommés comme par enchantement tous les défauts du précédent tableau, puisque pour les Chevaux de Dieu, c’en est fini de la faim, de la drogue, du chômage et de tout autre dérèglement ou souci matériel. Tout le danger est dans la lecture de ce tête-à-tête où les « frères » tiennent plus le rôle d’aimant que de repoussoir. Frères d’écran et frères de bidonville, Abdelilah et Abdelhakim Rachid – heureux de leur aventure cannoise – se révèlent excellents, prouvant que ce terreau-là peut aussi être mis au service de causes infiniment plus nobles, comme celle du cinéma. Marie-Jo Astic
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1h55 - Maroc - Scénario : Jamal BELMAHI - Interprétation : Abdelhakim RACHID, Abedelilah RACHID, Hamza SOUIDEK. |