Après la bataille |
Pain Liberté Dignité Humanité Yousry Nasrallah est loin d’être inconnu à Cannes. La Quinzaine l’y a révélé en 1988 avec Vols d’été, la sélection officielle l’a confirmé en 2004 pour La Porte du soleil, ainsi que par sa participation au film collectif Intérieur/Extérieur présenté hors compétition en 2011. Pour ce film d’une valeur documentaire précieuse, le réalisateur avoue des conditions difficiles de tournage, malgré une censure assouplie… très momentanément, ajoute-t-il. Il fallait donc faire vite, « s’emparer de l’état d’esprit soudain apparu. » Serait-il déjà disparu, étouffé ? Présenté en compétition quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles, qui donnèrent un second tour opposant un islamiste et l’ancien Premier ministre de Moubarak, Après la bataille montre la route à suivre et confirme qu’elle sera longue, donne à voir et à entendre la naissance du sentiment révolutionnaire, la révolution elle-même restant encore à accomplir. Sa plus jolie métaphore est écrite dans le livre de lecture d’un des deux garçons de Mahmoud et Fatma : « Salma plante un drapeau… sur un château de sable. » Mahmoud, homme du peuple, relativement primaire, rejeté par les siens depuis que – les vidéos circulant sur YouTube en ont témoigné – il fut l’un des cavaliers de la place Tahir à la solde de Moubarak qui ont chargé les opposants au régime et que – double peine – le fier cavalier connut la honte d’être mis à terre par les manifestants. La fameuse scène, violente, tonitruante, inondée de lumière et constellée de couleurs est maintes fois reprise, au rythme de l’obsession qui hante Mahmoud, sa communauté, sa femme, ses enfants. |
La déchéance s’accomplit ainsi ce 2 février 2011, baptisé Bataille des chameaux, au 9 octobre, Dimanche noir et sanglant où coptes et musulmans manifestèrent pour la citoyenneté devant la Maison de la télé, où la foule interpelle Ahmed Chafik : « De quel côté es-tu Premier ministre : pour ou contre nous ? », où la détermination le dispute à la lucidité : « Nous avons encore des forces et la liberté coûte cher. » Sur la trame historique, se dessine l’histoire d’une rencontre : celle de Reem, jeune femme moderne et cultivée – éduquée, entendait-on au cours du Printemps arabe – des beaux quartiers du Caire et Mahmoud, issu du quartier Nazlet El-Samman, au pied des pyramides, populaire mais jadis prospère lorsque le tourisme y était encore florissant. Aujourd’hui, un mur est construit, destiné à paupériser ses habitants, les couper de la manne touristique, les priver de ressources et les forcer à partir, abandonnant des terrains qui seront revendus à prix d’or. Tandis que Reem houspille vertement les femmes pour les éveiller à la cause, Mahmoud se voit interdit d’avoine pour nourrir son cheval et ses enfants subissent des brimades à l’école. Des scènes bruyantes, bavardes, chaotiques, discordantes, qui mettent à mal l’image idyllique que l’on pouvait se faire d’un mouvement unitaire en marche vers la liberté et la démocratie et laissent le spectateur épuisé. Tout au bout de la route, le ressaisissement de Mahmoud qui renoue avec la dignité et surtout le beau sourire de Fatma prenant timidement conscience d’un début d’émancipation et que quelque chose d’important est en train d’advenir, apporte une fragile mais tenace lueur d’espoir. Marie-Jo Astic
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2h06 - Egypte - Scénario : Omar SHAMA, Yousry NASRALLAH - Interprétation : Mena SHALABY, Bassem SAMRA, Nahed EL SEBAI. |