Orange mécanique
A Clockwork Orange
de Stanley Kubrick
Sélection officielle
Cannes Classics



Sortie en salle : 15 mai 1972




« The world is a stage »

2011 fut sans aucun doute « l’année Kubrick » en France : rétrospective à la Cinémathèque française, restauration de la plupart de ses films, ressorties en salles de 7 de ses chefs d’œuvres et sortie en DVD d’une intégrale où figure le très rare et un peu maudit Fear and Desire , son premier film. Cannes se devait d’en profiter. Le réalisateur, aujourd’hui décédé depuis un peu plus de dix ans, est notamment connu pour avoir toujours boudé le Festival ; de fait, la présentation à Cannes Classics d’une copie neuve de Orange Mécanique, entièrement restaurée et remastérisée par la Warner, était un événement en soi puisque c’était la première fois dans l’histoire du Festival qu’un film de Kubrick était diffusé. Étaient présents la veuve du réalisateur, Christiane Kubrick, l’acteur principal, le génial Malcolm McDowell, la décoratrice et quelques cadres de la Warner qui ont participé à la restauration du film. Avant la séance était projeté un documentaire, Il était une fois…Orange mécanique, co-réalisé par Michel Ciment, film s’intéressant à la genèse, au tournage et à la réception du film. Peu avant de projeter le film, la veuve du réalisateur lui a rendu un vibrant hommage, regrettant le choix de son mari d’avoir toujours refusé de présenter ses œuvres à Cannes, avec un brin d’humour certes , mais elle semblait vraiment pénétrée d’une forte émotion qui s’est transmise à toute l’assemblée. Les différents invités ont à leur tour prononcé quelques mots sur le film et sur Kubrick, et, après un extrait du documentaire qui était présenté dans une autre séance, le film a démarré. La remastérisation audio du film est exemplaire : chaque son, chaque note de musique claque et retentit avec une clarté inouïe, sans aucun parasite, ce qui sert grandement un film présentant de longues séquences muettes et musicales. Plus inégale est la restauration de l’image : si le grain et la photographie, superbes, sont bien rendus et globalement respectés, on peut déplorer une certaine tendance au flare ou au halo bleuté dans les scènes trop lumineuses et surexposées – défaut sûrement souhaité par Kubrick car déjà présent dans les plus vieilles copies du film, mais ici comme décuplé par la restauration. C’est toutefois un détail, et la qualité de la restauration l’emporte largement.

On connaît la fascination exercée par la musique et sa mise en images sur le cinéaste. Déjà, 2001 : l’Odyssée de l’espace présentait de véritables ballets aéronautiques sur des pièces musicales célèbres. Mais dans Orange mécanique, cette démarche atteint une intensité et une perfection rares qui ont un rôle important à la fois dans l’esthétique du film, la logique de son scénario et dans sa réussite formelle.

Il faut ici non seulement penser en termes d’adéquation entre musique et images, mais aussi entre ces deux données et une troisième, celle de l’espace scénique. Film adapté du roman éponyme d’ A. Burgess, dont il conserve notamment le lexique aux intonations slaves, Orange mécanique peut s’appréhender comme un film qui utilise les codes du théâtre pour décrire un monde cauchemardesque mais tout aussi théâtral, où chaque membre de la société porte un masque et se produit devant un public précis. Les lieux où évolue Alex sont ainsi tous clairement définis par un certain espace scénique, véritable espace de jeu : le bar, l’appartement des parents, le salon de la danseuse, le tunnel du clochard et? bien sûr, le théâtre désaffecté du début du film et la scène sur laquelle se produit Alex à la fin de sa cure pour le guérir de sa perversité et de son vice. Cette théâtralité assumée explique aussi l’excentricité de certains personnages – outre le fait que le film fantasme sur le devenir de notre société : perruques bariolées de la mère d’Alex, surveillant de prison autoritaire et automate, etc. Par ailleurs, si Rossini et son ouverture de la Pie Voleuse hantent la première partie du film dans plusieurs séquences d’anthologie, Beethoven et sa 9e Symphonie, qui joue un rôle prépondérant dans l’histoire même du film et dans la caractérisation du personnage d’Alex, occupent la majeure partie de la seconde moitié, notamment à partir de la fameuse scène de la danse des Christ sur le scherzo du 2e mouvement. La force intemporelle de ce film réside ainsi dans ce point de départ implicite vieux comme Shakespeare, « The world is a stage », point de départ à partir duquel Kubrick exerce tout son génie visuel et sonore, s’appuyant sur un montage audacieux, une narration en voix off par Alex lui-même, ainsi qu’un humour féroce qui permet de faire passer la difficile pilule de la violence extrême et gratuite, surtout lorsqu’elle s’exerce sur des femmes, le plus souvent nues. L’interprétation de Malcolm McDowell est entrée pour ainsi dire dans la légende, l’acteur laissant libre cours à son improvisation et son inspiration pour des scènes tantôt hilarantes (le questionnaire psychologique de l’infirmière), tantôt plus cruelles (l’assassinat de la danseuse). Orange mécanique, dernier volet d’une trilogie consacrée à la science-fiction, de par sa vision inquiétante et quasi-prophétique du futur de nos sociétés modernes, ainsi que par la force de son dispositif esthétique et cinématographique, reste sans aucun doute un des meilleurs films du maître.


Maxime Antoine



2h16 - Royaume-Uni - 1971 - Scénario : Stanley KUBRICK, d'après le roman de Anthony Burgess - Interprétation : Malcolm McDOWELL, Patrick MAGEE, Adrienne CORRI.

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