Rubber |
« No reason » C’était le film trash de la Semaine, THE Spéciale et peut-être bien THE BEST film de cette 63e édition : séance unique, trop petite salle Miramar, nombreux invités… l’émeute était assurée, pire que celle attendue pour Stones in exile à la Quinzaine, où Mike avait un sérieux concurrent en la « personne » de Robert. Record battu par… un pneu. Des chaises sont installées par un grand mec sérieux sur une route californienne sans issue et jusque là déserte, un shérif sort du coffre d’une voiture : pour surréaliste qu’elle soit, la scène d’ouverture n’est pourtant que de la petite bière par rapport à ce qui attend les spectateurs, ceux que l’on installe – pas sur les chaises bien sûr – avec des jumelles et ceux qui sont venus voir le film… enfin les autres. Sur le postulat aussi stupide que génial du No reason – pour toute réponse à diverses questions existentielles : pourquoi ne voit-on pas l’air autour de nous ? Pourquoi fait-on du cinéma ? – deux histoires viennent se percuter : celle du road movie dont Robert le serial killer est le héros, celle des volontaires prédateurs qui assistent au tournage du film et y interviennent interactivement. Welcome dans le loufoque, l’absurde, l’inexploré en 115 ans de cinéma. Un pneu qui semblait avoir fini sa belle vie de pneu à moitié enterré sous la poussière se ranime et, tel un mec rangé des voitures qui reprendrait du service, réapprend à rouler et à recouvrer son don télépathique par lequel il fait exploser tout ce qui peut représenter un obstacle sur sa route. Après s’être entraîné sur quelques canettes et autres lapins, il accède à la highway où il flashe sur une automobiliste, se met dans sa roue et « acéphale » purement et simplement les petits maladroits qui se mettent en travers du chemin de la belle Sheila ou, une fois installé dans un motel, la femme de ménage qui viendrait éteindre le téléviseur pendant son émission préférée. Car Robert le psychopathe télépathe est également téléphage… et increvable, capable s’il le faut de se réincarner en tricycle : même Oncle Boonmee n’en reviendrait pas. |
Totalement barré, déjanté par définition, archi distancié, apparemment réservé aux inconditionnels du délire et du non-sens, Rubber est aussi une plongée en abîme dans un monde peuplé d’hommes déshumanisés et d’objets humanisés, et si l’on en juge par le prodigieux finale du jour des pneus vivants, ce n’est pas forcément l’homme qui gagnera. Rubber est un film libre aux partis pris extrêmes mais au charme indéniable, avec plein de morceaux de génie dedans et qui télescope joyeusement tous les genres du grand ou petit écran. À trente ans Quentin Dupieux, maître ès ovnis cinématographiques (alias Mr. Oizo, brillant musicien électro), semble scandaleusement collectionner tous les talents : excellent directeur d’acteurs, dont la partenaire de Robert, Roxane Mesquida, élevée à l’école de Catherine Breillat ; brillant scénariste, il compose la musique, endosse le rôle de monteur et, last but not least, celui de chef opérateur. Quand on voit la perfection de l’image et le fait qu’il a tourné avec un appareil numérique Canon 5D, on mesure l’ampleur des provocations qu’il multiplie à l’intention du septième art, dont le cocotier n’avait pas été aussi vigoureusement secoué depuis longtemps. Marie-Jo Astic |
1h25 - France - Scénario : Quentin DUPIEUX - Interprétation : Stephen SPINELLA, Jack PLOTNICK, Roxane MESQUIDA. |