Mais Lily est-elle « gardable » ? Sauvageonne, réfractaire à toute morosité, sensible au-delà des normes, elle incarne la liberté totale et non négociable, une sorte de « révolution permanente » telle qu’elle est chantée dans Sans la nommer. Arpentant la campagne, elle y prélève toutes sortes de dépouilles de bestiaux à poils fraîchement trépassés qu’elle ramène dans sa cabane-bureau et, sous l’œil blasé de son dindon-animal de compagnie, laisse libre cours à sa créativité illimitée en matière d’artisanat et de taxidermie : slips en écureuil, colliers en taupes, pantoufles en queues de chat… qu’elle offre généreusement à ses proches. Drôle de petit animal elle-même, herbe folle, elle décore la forêt (comme la petite Simone dans L’Arbre) et fait du gringue à Paulo qu’elle souhaiterait voir sexuellement passer à l’action : « Si j’ai un corps c’est pour m’en servir. »

Malgré sa bonne volonté, Mireille aura du mal à conjurer le sinistre et, après un essai infructueux en ville, Clara devra ramener Lily dans sa chère campagne et peut-être même y rester, la soif de liberté s’avérant contagieuse. Il y a entre ces deux-là une tendresse d’une force à anéantir tous les obstacles. Tout en continuant d’engorger le congélateur de ses prises de chasse, Lily, mine de rien, imprègne sa sœur de sa manière d’être, inconscient mais implacable réquisitoire contre les schémas sociétaux (« Tu dors ta vie » ; « Tu es entrée dans un moule et si ça se trouve tu vas finir comme une tarte. ») et lui suggère gentiment la porte de sortie vers la liberté.

Pieds nus sur les limaces, à l’image de son personnage, ne rentre dans aucune case : ni comédie, ni drame, la gravité y est fantasque, la morbidité drôle. Émaillé de petits miracles, d’instants de grâce, de fausses pistes, le film parle d’humanité, d’amour, de différence avec une énergie et une fantaisie folles. La complicité est évidente entre Fabienne Berthaud qui ne tourne que pour ses personnages et le joli duo d’actrices qui les interprète : Diane Kruger dans un rôle complexe tout en subtilité, délicatesse et retenue ; Ludivine Sagnier, bouleversante, rayonnante et carrément « bluffante » de vérité et de pureté.

Marie-Jo Astic