Le Nom des gens
The Name of Love
de Michel Leclerc
Semaine internationale de la critique - Séance spéciale


Sortie en salle : 24 novembre 2010




« Tu les aimais pas… t’en avais pas peur »

Ouverture jubilatoire de la Semaine de la critique avec ce Nom des gens, comme pour mettre un point final et salutaire au déplorable débat identitaire dont l’actualité polluait depuis un peu trop longtemps nos citoyennes oreilles.

Véritable OPA sur les questions sociétales, Michel Leclerc (prononcer comme le fondateur de l’enseigne) y met en présence Arthur Martin (prononcer comme le fabricant d’électroménager) et Bahia Benmahmoud (prononcer les « h » comme le « ch » de « achtung »), tirant à vue sur les obsessions politiques engendrées par la paranoïa communautariste ambiante.

Savoureuse, ironique, audacieuse, pétillante, insolente… les adjectifs s’égrènent comme autant de perles sur le chapelet ou le misbaha de cette comédie doublement autobiographique, sorte de folle romance qui explose les interdits et désinhibe les frustrations, jouant à tel point sur le ressort classique de l’antinomie des personnages et l’improbabilité de l’option de départ, qu’elle en devient carrément casse-gueule. Mais les coscénaristes, Michel Leclerc et Baya Kasmi, tiennent la barre du navire avec une intelligence redoutable et le génial duo d’acteurs, Jacques Gamblin - Sara Forestier, tangue mais ne coule pas.

Arthur, mec sans histoires et ne les recherchant surtout pas, un peu rigide, non enclin aux concessions, jospiniste donc, se présente modestement à Bahia comme étant plutôt « de meilleure qualité que les autres, mais sans emporter le marché ». C’est son nom qui l’a rendu suspect à Bahia, engagée corps et âme – mais surtout corps – dans sa mission de rééducation politico-culturelle selon une méthode toute personnelle qu’elle garantit efficace : coucher avec certains de ses contemporains pour prendre le temps de les « dédroitiser » et/ou les « défasciser » (l’expression de « rôle très physique » interprété par Sara Forestier prend ici tout son sens).

Et pour prospecter ses futurs convertis, le patronyme de l’intéressé constitue souvent un bon indice. Mais – elle est bien placée pour le savoir – il arrive aussi que les apparences soit trompeuses : par exemple Bahia, ce n'est pas brésilien, c’est algérien. Quant à Arthur, peu importe que sa mère soit juive, lui ne l’est pas… la preuve, il s’appelle Martin.


L’ornithologue spécialiste des épizooties, adepte du principe de précaution (avec le spectre d’un éventuel gazage en masse des poulets en cas de grippe aviaire…) et la courageuse militante, privilégiant l’action immédiate pour changer un monde qu’elle schématise à sa convenance, vont tomber amoureux. Le seul credo d’Arthur : préserver la sérénité que lui procure le fait que sa judéité soit ignorée. La seule souffrance de Bahia : ne pas avoir l’air physiquement de qui elle est.

Au-delà de la carte de visite, un patronyme c’est surtout une hérédité. Occupation allemande pour l’un, guerre d’Algérie pour l’autre, qu’ils dissimulent ou revendiquent leurs origines, ils culpabilisent par rapport aux souffrances étouffées de leurs parents ou grands-parents, s’insurgent contre la récupération par les nouvelles générations de traumatismes qu’elles n’ont pas subis et l’aspect névrotique de la société face à un débat caduque et aujourd’hui totalement dénué de sens. Ils voudraient juste que l’Histoire ne se répète pas, avec comme leitmotiv : « les bâtards sont l’avenir du monde ».

Des rôles secondaires jouant impeccablement leur partition (avec une mention pour Zinedine Soualem, allégorie de l’humanité tout entière) et se délectant de dialogues euphorisants, une scène mémorable de rhabillage plus émouvante que le plus sensuel des effeuillages, une écriture décapante où Bahia, tout droit sortie d’un bain de fraîcheur et d’humour, oppose sa gouaille à la réserve d’Arthur, une mise en scène décalée entre gravité des thèmes et fantaisie des situations, un cadre large atteignant à un réel lyrisme, tandis qu’une musique romantique couvre une engueulade sur le devoir de mémoire.

Et – cherry on the cake – une réplique déjà devenue culte : « Un jospiniste, c'est aujourd'hui aussi rare qu'un canard mandarin dans l'île de Ré. », prononcé par Lionel himself, « offert » par Bahia en cadeau d’anniversaire à Arthur (petite mais exquise anecdote à laquelle l’actualité people Ribery / Zahia rajouta évidemment un peu de sel).

Fan inconditionnel de Woody Allen, Michel Leclerc confirme son habileté en matière de comédie à travers ce film réjouissant et efficace tout autant qu’utile, voire indispensable.

Marie-Jo Astic


1h40 - France - Scénario : Baya KASMI - Interprétation : Jacques GAMBLIN, Sara FORESTIER, Zinedine SOUALEM, Jacques BOUDET, Michèle MORETTI.

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