Illégal |
« Cours ! » « Tout va bien se passer » semble murmurer Christopher Boe à l’oreille de Tania. Sauf que cette fiction-là est basée sur le sort bien réel que réservent nos mal-nommées civilisations à des déracinés en tentative de survie, traités comme des criminels, malgré les condamnations multipliées par la Cour européenne des droits de l’homme. Un contexte que le réalisateur recadre, tout en subjectivité, au plus près de son personnage, mère courage dure, taiseuse, jusqu’au-boutiste, terrifiante d’abnégation dans le combat qu’elle mène pour retrouver son fils. Octobre 2008, Bruxelles. D’origine russe, Tania et Yvan, 13 ans, vivent tous deux en Belgique depuis huit ans. Elle travaille et a la chance de parler parfaitement français, son fils va à l’école. Lorsque son permis de séjour est refusé, elle sait qu’elle doit définitivement gommer toute trace d’identité et brûle, l’une après l’autre, les extrémités de ses dix doigts. Elle vit la peur au ventre et interdit à son fils, qui la taxe de paranoïaque, de lui parler russe dans un lieu public. Pas si parano que cela, puisqu’elle est contrôlée et violemment arrêtée en pleine rue, tandis qu’Yvan, ravalant son sentiment de lâcheté, se décide à obéir aux injonctions de sa mère et à s’enfuir. Tania échoue alors dans ce centre de rétention – où le film s’enferme également – et où elle aura longtemps pour seul signalement le numéro 9648, tentant de s’enfuir, refusant tout interrogatoire, déniant avoir un fils… Bien que mensongèrement menacée d’expulsion si elle ne donne pas son nom, matricule 9648 sait bien que si elle tient cinq mois sans être identifiée, les autorités seront obligées de la libérer. Harcelée, sans cesse en éveil par rapport aux leurres qui lui sont proposés, prise au piège de ses propres stratégies, Tania deviendra en cours de parcours du combattant un cas Dublin, qui s’applique à ceux qui ont déjà déposé une demande d’asile dans un autre pays, obligés d’y retourner, étape précédant immédiatement le retour à la case départ. |
Sans aucun manichéisme, c’est la perversité d’un système qui est mise en cause, un protocole apparemment bien rôdé qui laissent béantes les failles d’une chaîne sans fin : d’arbitraire en précarité, de traques en violences, de fouilles en promiscuité, de peur en solitude, de résistance en capitulations, d’évasions en tabassages, les « candidats » à l’insertion passent entre les mains de policiers, gardiens, convoyeurs, psys, avocats sur lesquels le sentiment de culpabilité fait inéluctablement son œuvre. Ce ne peut être par masochisme que des mères en arrivent à confiner leurs enfants en milieu carcéral. Au-delà de ce que les uns sont prêts à endurer pour rester en terre d’accueil, c’est plutôt ce que les autres leur font subir pour qu’ils en partent qui est mis en scène sous la forme d’un thriller psychologique, oppressant mais évitant toute lourdeur, resserré autour d’un personnage qui pourrait être chacun d’entre nous. À l’instar des frères Dardenne, dont Le Silence de Lorna abordait la même question sous l’angle « extérieur », Olivier Masset-Depasse utilise le filmage à l’épaule et le plan rapproché pour restituer la tension des situations et les vibrations du personnage. Il est en visible osmose avec son actrice fétiche, Anne Coesens (cf. Élève libre de Joachim Lafosse présenté par la Quinzaine en 2008). De tous les plans, elle tient le film à bout de bras et l’élève bien au-delà du pathos et de la douleur : dans cette plongée en inhumanité, l’émotion est immédiate, « le mot dans le regard ». Marie-Jo Astic
|
1h30 - Belgique, Luxembourg, France - Scénario : Olivier MASSET-DEPASSE - Interprétation : Anne COESENS, Alexandre GOLNTCHAROV, Olivier SCHNEIDER. |