Un homme qui crie
A Screaming Man
de Mahamat-Saleh Haroun
Sélection officielle
Prix du Jury



Sortie en salle : 29 septembre 2010




« Un homme qui crie n'est pas un ours qui danse » (Aimé Césaire)

Adam, la soixantaine, maître nageur de la piscine d'un hôtel de luxe à N'Djamena, doit laisser la place à son fils Abdel lors du rachat de l'hôtel par des repreneurs chinois. Il vit très mal cette situation qu'il considère comme une déchéance sociale. Le Tchad est en proie à la guerre civile et les rebelles armés menacent le pouvoir. Le gouvernement, en réaction, fait appel à la population pour un "effort de guerre", exigeant d'eux argent ou enfant en âge de combattre les assaillants...

Un homme qui crie hisse le réalisateur des remarqués Abouna (Quinzaine des réalisateurs 2002) et Daratt (Prix spécial du Jury, Venise 2006) au rang des grands cinéastes africains, les Ousmane Sembene, Souleymane Cissé et autres Idrissa Ouedraogo qui ont fait la richesse du 7e art sur ce continent. Par son économie de moyens, sa force émotionnelle, son style minimaliste et sa dénonciation politique en filigrane, le film n'a pas volé son prix du Jury. C'est d'abord une belle histoire de relation filiale dans un contexte économique : comme dans Ressources humaines, la cohabitation du père et du fils dans la même entreprise traduit un trouble : tandis qu'Abdel connaît une promotion en devenant l'unique maître nageur, Adam subit le déclassement, sans atteindre toutefois la déchéance du Dernier homme de Murnau.


La semi-trahison du père sera à l'origine de la reprise de ses fonctions initiales, mais aussi d'un statut en porte-à-faux : enfin reconnu par la gérante chinoise, Adam deviendra le seul salarié présent sur son lieu de travail, au fur et à mesure que l'insécurité gagne N'Djamena. L'éloignement de son fils le plongera en outre dans le remord puis l'action réparatrice, jusqu'à ce bouleversant dénouement qui voit l'eau de la rivière, aussi apaisante que celle de la piscine, sceller à jamais les deux destins. En somme, les deux hommes ont été séparés et réunis en raison de l'arbitraire militaire et politique mais aussi celui de la rationalisation économique dans la mondialisation. De là découle le second intérêt de l'œuvre, qui ne verse jamais dans le pamphlet larmoyant et lourd (qu'était hélas Johnny Mad Dog), préférant l'ellipse et la suggestion, à l'instar de l'épure de la bande son, la plupart du temps silencieuse pour mieux laisser ressentir les vacarmes de la guerre qui approche : bruit des sirènes, tirs d'artillerie et messages radiophoniques seront les seuls signes de la tragédie à venir. Maîtrisant la composition des plans et les ruptures de ton de ce « conte tchadien », Haroun s'impose comme un nouveau poète des drames individuels noyés dans la folie collective.

Gérard Crespo


1h40 - Tchad, Belgique, France - Scénario : Mahamat-Saleh HAROUN - Interprétation : Youssouf DJAORO, Diouc KOMA, Emile ABOSSOLO M'BO.

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