Benda Bilili !
de Renaud Barret, Florent de La Tullaye
Quinzaine des réalisateurs
palme

Sortie en salle : 8 septembre 2010





Maudites béquilles

Ricky avait un rêve : faire de Staff Benda Bilili le meilleur orchestre du Congo.
Roger, enfant des rues, désirait plus que tout rejoindre ces stars du ghetto kinois qui écument la ville sur des fauteuils roulants customisés façon Mad Max. Mais avant tout il faut survivre, déjouer les pièges de la rue de Kinshasa, chanter et danser pour s'évader. Pendant cinq ans, des premières chansons à leur triomphe dans les festivals du monde entier, Benda Bilili ! nous raconte ce rêve devenu réalité.

Benda Bilili ! repose entièrement sur une qualité qui vaut aussi comme un défaut ; sa flagrante absence de cinéma. Les deux réalisateurs ont parcouru durant 6 ans cet incroyable groupe musical congolais composé d'infirmes vivant dans les rues, mais dont la communion pour une même passion les a amenés à devenir une bande déterminée à s'en sortir et à devenir des superstars. Et l'extraordinaire se produit, ces créateurs de rythmes au passionnant mélange de styles passant des cartons dans la rue et des putes à 1$ aux grandes scènes européennes des festivals les plus réputés, grâce à leur révolte musicale et à la création d'un CD.

L'histoire est phénoménale, universelle. Elle dit tout. Ce que la musique représente, le langage qu'elle créé, le seul que tout le monde puisse comprendre. Ce que l'art sauve de l'âme humaine, de la misère. Ce qu'une mélodie peut apporter d'espoir et de combat contre l'indicible. On aurait aimé que le documentaire se situe lui-même dans cette veine créative et montre dans sa forme cinématographique et classique tout ce qu'il est permis de faire et de transcender. Malheureusement, les réalisateurs, dont on ne remet en aucun cas la démarche en cause ni la véracité des faits, ont tellement été fasciné par ce thème porteur et essentiel que celui-ci échappe aux valeurs cinématographiques. Car n'oublions pas que le documentaire est aussi, dans sa description clinique du réel, une forme de cinéma, une forme artistique dans laquelle un point de vue original semble important.

Mais Benda Bilili ! se retrouve dépourvu de mise en scène et d'architecture riche. Il n'y a pas un cadre qui ait sens, pas une idée formelle qui se démarque, ni une pensée dans la construction qui nous amène à réfléchir à ce qu'est un documentaire. Les quelques pauvres voix off viennent quant à elles expliquer vainement (tant on en sait peu) ce qu'il se passe entre deux périodes écartées durant lesquelles les réalisateurs sont retournés en France. Soit cette voix off aurait pu nous éclairer véritablement sur le développement du groupe durant l'absence des documentaristes, soit elle aurait pu s'abstenir de tous commentaires et ainsi laisser place à l'ellipse, ce qui, dans le cadre du documentaire, peut tout à fait avoir son sens.


Benda Bilili ! ,aventure entraînante d'humanité et de courage, pêche donc par ce manque de point de vue véritable. D'un autre côté, l'histoire se suffit à elle-même et la caméra donne parfois le sentiment de scruter discrètement chaque fait et chaque geste, anodin ou particulièrement fort suivant le moment. Dans l'invisibilité, le film est parfois fort, mais on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi l'intégralité du film repose sur cette transparence de réalisation.

Benda Bilili ! reste tout de même une curiosité à ne pas rater même si elle manque d'une application visuelle forte : la puissance des réalités qui y sont montrées, l'infinité de pensées qui nous traversent face à ce prodige humain où des hommes atteints de la poliomyélite parviennent à jouer, danser, chanter avec cette même âme extatique, voire même à performer lors d'un match de foot (durant lequel on ne peut s'empêcher de se dire que l'équipe de France a sérieusement beaucoup à apprendre d'eux), toute cette magie qui nous montre quelle force et quelle énergie l'être humain est capable de libérer, suffit à nous séduire. Tout simplement parce qu'il y a là une matière à filmer, infiniment renouvelée par la nature hors du commun des faits, même si les réalisateurs ne se démarquent pas de cette matière. Parce que la caméra, à elle seule, peut au moins y retraduire quelque chose pour nos yeux, un mouvement humain dantesque, créant dans leur transe un rythme propre au film. Et aussi parce que l'histoire est belle, fédératrice, plus importante que ces drames dérisoires que l'on met en scène. Certains moments sont durs, souvent émouvants, parfois drôles, et tout le temps cette histoire apporte admiration et grâce, notamment quand s'échappe comme par magie de la bouche d'un enfant cette phrase profondément philosophique : << Un homme n'est jamais fini avant la fin >> . Et le film de ne jamais se terminer après que l'image et la musique aient dit leur dernier mot.

Jean-Baptiste Doulcet


1h25 - France, Congo- Documentaire

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