Polytechnique
de Denis Villeneuve
Quinzaine des réalisateurs
palme




Tabernacle !

Denis Villeneuve, trop rare réalisateur dont on avait apprécié Un 32 août sur terre (UCR 1998) et savouré le court Next floor (SIC 2008), opère un changement radical dans sa filmographie en marquant, vingt ans après les faits, le triste anniversaire du massacre de l’école Polytechnique de Montréal opéré le 6 décembre 1989.

Si l’on garde le souvenir de la récente tuerie de Winnenden et d’autres drames survenus en Europe ces dernières années, Michel Moore et Gus Van Sant ont contribué à souligner, via le cas Columbine, que le phénomène est plus flagrant encore aux Etats-Unis, où l’on compte douze fois plus d’homicides par arme à feu que sur le vieux continent. Avec pour tous une sorte de constante lancinante qui porte à chaque fois entre quinze et dix-sept le nombre des victimes.

Au gré d’une mémoire sélective, il se trouve cependant que l’attaque perpétrée à Montréal ait durablement marqué les esprits en raison de sa motivation et de son mode opératoire, à savoir de la personnalité atypique du tueur, emmuré dans une misogynie exacerbée, décidé à « envoyer à ad patres les féministes. » à tel point qu’elle ne pouvait croître que dans des pays où les femmes ont solidement installé leur influence, voire leur domination, dont le Québec fait partie. À tel point que le jeune homme la revendique comme une responsabilité collective.

Une fois entré dans la place, traversant la cafétéria et la bibliothèque, puis dans la classe, le tueur suivi pas à pas par la caméra procède au tri méthodique des garçons et des filles dans une scène qui glace le sang par la référence qu’elle fait aux sélections opérées par les nazis sur les Juifs et à l’extermination. Tuer le plus de femmes possible : il en aura quatorze, la quinzième, Valérie étant quasiment miraculée. Après le tueur, elle est la deuxième piste du réalisateur, la troisième étant Jean-François, épargné physiquement mais désormais chargé d’un fardeau beaucoup trop lourd.

Assumant un montage dans le style documentaire, le réalisateur place, dans la seconde partie, sa caméra sur les traces des victimes et de leur survie : horreur, peur, humiliation pour Valérie, culpabilité et impuissance pour Jean-François. Ils s’installent dans le mutisme, comme un bloc qu’ils tentent d’éroder peu à peu par l’écriture. Denis Villeneuve prolonge cette thérapie en donnant, même longtemps après, la parole aux rescapés des rescapés, laquelle lui a permis de reconstituer le drame dans les murs mêmes de leur calvaire.

C’est dans la première partie que la mise en scène, dans un noir et blanc saturé de lumière blafarde, donne le meilleur de son efficacité : atmosphère étouffée par la neige qui tombe à l’extérieur, préparatifs fébriles du tueur propulsé dans un ailleurs hypnotique, prise de possession des lieux qu’il scanne d’un regard ample embrassant ça et là quelques indices, tel un grand format de visages déconstruits de Picasso, d’un chaos que l’on sait inéluctable.

Marie-Jo Astic


1h16 - Canada - Scénario : Jacques DAVIDTS, Denis VILLENEUVE, Eric LECA - Interprétation : Maxim GAUDETTE, Sébastien HUBERDEAU, Karine VANASSE, Marina EVA, Nathalie GIRARD.

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